Métrique en Ligne
REN_3/REN164
Armand RENAUD
CAPRICES DE BOUDOIR
1864
FRISSONNEMENTS
IV
LE ROI FAUVE
Oh ! là-bas, dans Java la chaude, 8
Que ne suis-je un tigre au poil d'or, 8
Un beau tigre qui, la nuit, rôde, 8
Et qui, sons le soleil, s'endort ! 8
5 De l'Océan humant'la brise, 8
Humant la senteur des forêts, 8
Loin des hommes que je méprise, 8
Par l'espace je bondirais ; 8
El puisqu'ici-bas règne en maître 8
10 La force qui se fait sentir, 8
Puisque c'est bourreau qu'on doit être, 8
Afin de n'être point martyr ; 8
Je mettrais à mort qui me gène, 8
J'étranglerais qui m'aperçoit, 8
15 N'ayant souci d'aucune haine, 8
Pourvu que la terreur y soit. 8
« De chair vive, de chair qui bouge 8
Je gonflerais mon flanc poissant. 8
Ongle, gueule, tout serait rouge ; 8
20 Je me vautrerais dans le sang. 8
Puis, quand j'aurais bien fait le vide, 8
Bien chassé tout être vivant, 8
Qu'au loin l'homme fuirait livide, 8
Rien qu'à mes cris jetés au vent ; 8
25 J'appellerais à moi les rêves, 8
Les beaux rêves qui vous font Dieu, 8
Qui scintillent comme les glaives, 8
Qui sont doux comme le ciel bleu. 8
Je tiendrais fixé sur l'orage 8
30 Mon regard à l'éclair pareil ; 8
En plein midi, fuyant l'ombrage, 8
Je boirais ta flamme, ô soleil. 8
Quand la nuit étendrait ses voiles, 8
L'herbe me servant de hamac, 8
35 Je contemplerais les étoiles 8
Mirant leurs yeux dans l'eau du lac. 8
Enfin aux heures de folie, 8
Quand le frisson d'amour vous prend, 8
Qu'il n'est déjà rien qu'on n'oublie, 8
40 Tant le désir entre à torrent ; 8
Par les jungles, j'irais en quête 8
De la tigresse à l'amour fort, 8
Qui hurle comme la tempête 8
Et, comme les serpents, se tord. 8
45 Sans nous demander autre chose 8
Que de grands yeux pleins de rayons ; 8
Dans le secret de la nuit close, 8
Royalement nous aimerions. 8
Mais, loin de la lâche habitude, 8
50 Une fois las de volupté, 8
Nous fuirions dans la solitude, 8
Nous fuirions dans la liberté. 8
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