Métrique en Ligne
REN_3/REN163
Armand RENAUD
CAPRICES DE BOUDOIR
1864
FRISSONNEMENTS
III
L'ÉLOGE DES BAISERS
L'amour qui se partage est chose 8
Ayant des ressources sans fin : 8
Moins de parfums verse la rose, 8
Et moins de chants le séraphin. 8
5 Mais avec toutes les maîtresses, 8
Aux instants les plus embrasés, 8
Pour être une source d'ivresses, 8
Il n'est rien d'égal aux baisers. 8
Par les rivales des corolles, 8
10 Rivaux du miel, ils sont servis. 8
Là, les précèdent les paroles, 8
Là, des rires fis sont suivis. 8
Ni trop terrestres ni trop vagues, 8
Ils forment l'adorable point 8
15 Où, comme l'eau du ciel aux vagues, 8
Au réel le rêve se joint. 8
Rien ne s'y mêle d'amertume 8
Ni de dégoût. Tout est divin. 8
C'est une coupe sans écume 8
20 Dont la poésie est le vin. 8
Tantôt bondissantes panthères, 8
Tantôt ramiers au fond des nids, 8
Ils ont d'innombrables mystères, 8
Ils ont dès secrets infinis. 8
25 Les uns vont effleurant la bouche, 8
Muets, légers, à peine pris ; 8
Pour fuir, dès qu'on les effarouche, 8
Ils ont l'aile des colibris. 8
Les autres ont la véhémence 8
30 Du hennissement des chevaux ; 8
On dirait un orchestre immense 8
Entrecoupé par des bravos. 8
Mais, dans un silence qu'un râle 8
Par intervalles vient briser, 8
35 Le baiser profond qui rend pâle, 8
L'interminable, âpre baiser, 8
Semblant vouloir, tant il s'y presse, 8
Par les lèvres aller au cœur, 8
C'est là qu'est la sainte allégresse, 8
40 L'amour complet, l'amour vainqueur. 8
Certes, fuir dans le crépuscule, 8
Caresser une chair de lait 8
Où le frisson d'amour circule, 8
Que sais-je encore ? tout me plaît. 8
45 Mais si, par une circonstance 8
Lugubre, il me fallait choisir 8
Et ne plus lire qu'une stance 8
Dans le poème du plaisir, 8
Je te prendrais, ô stance folle 8
50 Que par les soirs électrisés 8
M'apporte la brise qui vole ; 8
Je vous choisirais, ô baisers. 8
Et, dans l'hiver de mes désastres, 8
J'aurais les plus douces chaleurs, 8
55 Des dents blanches étant mes astres 8
Et des lèvres roses mes fleurs. 8
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