Métrique en Ligne
REN_2/REN142
Armand RENAUD
Poésies
1860-1880
LES NUITS PERSANES
SONGES D'OPIUM
La dernière Goutte
J 'ÉTAIS en haut d'une colonne, 8
D'une colonne de feu clair, 8
Dans l'univers qui tourbillonne, 8
S'allongeant du ciel à l'enfer. 8
5 J'avais tant souffert par mon rêve, 8
Tant goûté de bonheur par lui, 8
Que le réel manquait de sève 8
Pour vivre où ce rêve avait lui. 8
Eu vain les deuils et les délices 8
10 De l'univers illimité 8
Montaient, innombrables milices, 8
A l'assaut de ma sommité ; 8
Je conservais ma solitude, 8
Dédaigneux des créations 8
15 Qui flottaient dans l'incertitude 8
Des incomplètes passions. 8
Pourtant quand des multiples fièvres 8
L'espace fut débarrassé, 8
Que, ma coupe magique aux lèvres, 8
20 Je me crus à moi seul laissé, 8
Tout à coup j'aperçus un être 8
Près de moi debout et muet, 8
Qu'à demi je crus reconnaître, 8
Et dont sur moi l'œil influait. 8
25 Était-ce la femme adorée, 8
Jadis morte en pressant mes mains ? 8
L'être flottait, cime éthérée 8
Des plus doux sentiments humains. 8
Tout mon rêve surgit en face ; 8
30 Mais d'orgueil mon rêve était fait, 8
Sur un dévoûment qui s'efface 8
Sa grandeur glissait sans effet. 8
Et l'être, en s'oubliant lui-même, 8
En mettant à mes pieds son cœur, 8
35 Pulvérisait le diadème 8
De mon égoïsme vainqueur. 8
Je soulevai, dans ma déroute, 8
Ma coupe sonnant creux déjà, 8
Et j'en bus la dernière-goutte. 8
40 Un rêve encor s'en dégagea. 8
Mais d'un miroir il prit la teinte ; 8
Et tout s'y fondit, terre et ciel, 8
Mes luttes, mon orgueil, ma crainte, 8
En reflet d'amour éternel. 8
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