Métrique en Ligne
REN_2/REN131
Armand RENAUD
Poésies
1860-1880
LES NUITS PERSANES
SONGES D'OPIUM
Tournoiement
SANS que nulle part je séjourne, 8
Sur la pointe du gros orteil 8
Je tourne, je tourne, je tourne, 8
A la feuille morte pareil ; 8
5 Comme à l'instant où l'on trépasse, 8
La terre, l'océan, l'espace, 8
Devant mes yeux troublés tout passe, 8
Jetant une même lueur ; 8
Et ce mouvement circulaire, 8
10 Toujours, toujours, je l'accélère, 8
Sans plaisir comme sans colère, 8
Frissonnant malgré ma sueur. 8
Dans les antres où l'eau s'enfourne, 8
Sur les inaccessibles rocs, 8
15 Je tourne, je tourne, je tourne, 8
Sans le moindre souci des chocs. 8
Dans les forêts, sur les rivages, 8
A travers les bêtes sauvages, 8
Et leurs émules en ravages, 8
20 Les soldats qui vont sabre au poing, 8
Au milieu des marchés d'esclaves, 8
Au bord des volcans pleins de laves, 8
Chez les Mogols et chez les Slaves, 8
De tourner je ne cesse point. 8
25 Soumis aux lois que rien n'ajourne, 8
Aux lois que suit l'astre en son vol, 8
Je tourne, je tourne, je tourne ; 8
Mes pieds ne touchent plus le sol. 8
Je monte au firmament nocturne ; 8
30 Devant la lune taciturne, 8
Devant Jupiter et Saturne, 8
Je passe avec un sifflement, 8
Et je franchis le Capricorne, 8
Et je m'abîme au gouffre morne 8
35 De la nuit complète et sans borne, 8
Où je tourne éternellement. 8
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