Métrique en Ligne
REG_2/REG160
Henri de RÉGNIER
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS
1897
INSCRIPTIONS POUR LES TREIZE PORTES DE LA VILLE
Pour la Porte des Mendiants
L’âpre bise nous glace et la neige nous gerce, 12
Notre face ruisselle en larmes sous l’averse, 12
Car l’automne et l’hiver sont durs au mendiant 12
Qu’on voit errer sur les routes, apitoyant 12
5 En vain celui qui passe et qui hausse l’épaule. 12
L’hirondelle au vol vif de son aile nous frôle, 12
Le chien aboie et mord la loque et le jarret ; 12
On a peur de nous rencontrer dans la forêt ; 12
Et cependant nous sommes doux d’avoir souvent 12
10 Écouté dans les vieux roseaux pleurer le vent 12
Et d’avoir vu, hélas ! sur le mont et le bois, 12
Tant d’aurores, hélas ! se lever tant de fois 12
Et tant de lourds soleils s’abîmer dans la mer… 12
La ronce du chemin est dure à notre chair ; 12
15 Jamais pour nous, jamais la pierre acariâtre 12
Ne voulut être seuil, ne voulut se faire âtre, 12
Car la flamme est de l’or, et nous, nous somme nus ; 12
De tous les malveillants nous sommes malvenus, 12
Le loquet est rétif et la porte est fermée ; 12
20 Et toi, Ville opulente, amoureuse, embaumée, 12
Qui t’ouvres pour la courtisane et l’astrologue, 12
Tu gardes clos ton mur, et ta poterne est rogue 12
Et ton féroce orgueil scelle ta dureté ; 12
Sois maudite car j’ai, en m’en allant, jeté 12
25 Contre le noir battant de ta porte d’airain 12
L’aumône sans pitié de ton morceau de pain ! 12
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