Métrique en Ligne
REG_2/REG119
Henri de RÉGNIER
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS
1897
LES ROSEAUX DE LA FLÛTE
Va-t’en, Muse ! recule et retire ta main, 12
Car le cheval nourri de lauriers et de grain 12
Refuse et se dérobe à ta chère caresse 12
Qui flatte ses naseaux humides et qui tresse 12
5 Sa crinière docile où tu nattes des roses. 12
Le monstre ailé velu d’or pâle et d’argent rose 12
S’est cabré tout à coup et son sabot d’agate 12
A déchiré le bas de ta robe écarlate, 12
Et vers l’aube indécise où l’aurore sourit 12
10 Il part, laissant les douces mains qui l’ont nourri 12
Et le pré bleu semé d’iris et d’asphodèles 12
Où les neuf Muses Sœurs le faisaient auprès d’elles 12
Brouter le laurier dur et paître l’orge neuve. 12
Il est parti ! Le sable et les roseaux du fleuve 12
15 Garderont à jamais sur la tige et la vase 12
La brisure et le sceau de ton sabot, Pégase ! 12
Le berger de la plaine et le pâtre du mont 12
Ont tressailli de voir à l’éclair de ses bonds 12
Fuir l’échine du roc et le ventre des pierres 12
20 Et, sans avoir le temps de fermer les paupières, 12
Les vendangeurs du tertre et les faucheurs du val 12
Ont vu, mystérieusement, le grand cheval 12
À leurs yeux éblouis cabrer son dos ailé. 12
Aurore, tu le vis, et toi, ciel étoilé ! 12
25 S’effarant dans l’azur et hennissant dans l’ombre, 12
Emplissant de son cri toute la forêt sombre, 12
Et farouche, rué au galop vers la mer, 12
Brusquement, s’arrêter au bord du sable clair 12
Où le pot déferlé cabre aussi son écume ; 12
30 Et, tremblant, immobile en son poil d’or qui fume, 12
Éclaboussé d’embrun et roux de sueur âcre, 12
Éventer doucement de ses ailes de nacre 12
Que l’âpre vent marin gonfle de son haleine 12
L’Enfant né de la Mer et des vertes Sirènes. 12
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