Métrique en Ligne
QUI_1/QUI57
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
LA GLOIRE DU VERBE
LA VANITÉ DU VERBE
II
La contemplation dura cent mille années ; 12
Quand le Maître sortit des songes éclatants, 12
Des générations hideuses étaient nées. 12
Les Rhythmes étaient morts ; les rires insultants 12
5 Grimaçaient ; le soleil blême sur les prairies 12
Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps ; 12
L'épouse maquillée, âpre de pierreries, 12
Se raillait du Poète et du Rêve divin 12
Et se prostituait aux races amoindries. 12
10 Lorsque le Démiurge eut vu ce qui devint, 12
Un désespoir immense emplit son âme sombre ; 12
Il comprit que le Verbe était stupide et vain 12
Et cria dans la nuit : «Puisque tout croule et sombre, 12
«Après l'œuvre magique et sublime du Chant, 12
15 «O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre. 12
«Va, monde ! abîme-toi, triste soleil couchant ! 12
«Disparais d'un seul coup dans le néant avide ! 12
«Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent !» 12
Plus rien ne fut ; la nuit par le ciel morne et vide 12
20 Roula son voile noir sur la fausse splendeur 12
Et le Maître, absorbé dans le chaos livide 12
Tut—pour l'éternité—le Verbe créateur. 12
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