Métrique en Ligne
QUI_1/QUI55
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
LA GLOIRE DU VERBE
MAYA
MESSE DES MORTS
A Bernard Lazare.
LES ORGUES
Requiem æternam dona eis, Domine.
Seigneur, ces pèlerins des routes de la vie 12
Ont peiné tout le jour vers le terme divin : 12
Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin, 12
Ils se désaltéraient aux calices d'envie. 12
5 Desséchés par le hâle et brûlé par le ciel 12
Torride, haletant de la soif infinie, 12
Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie, 12
La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel. 12
Sous les savantes mains d'atroces sagittaires, 12
10 Des flèches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus 12
Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus 12
Et du métal ardent coulait dans leurs artères. 12
Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix 12
Avec le seul espoir de ta bonté future ; 12
15 Mais les loups de l'enfer guettent la créature 12
Et happent en chemin l'âme que tu mécrois ; 12
L'inextinguible feu hurle dans la géhenne 12
Et les damnés jetés aux abîmes grondants 12
N'apaisent point la faim terrible de ses dents 12
20 Et son gosier féroce est avivé de haines ; 12
N'écarte pas de toi les fidèles troupeaux ; 12
Le soir descend ; après les heures sans prairies, 12
Voici l'instant rêvé des calmes bergeries : 12
Ouvre, ô Pasteur des morts, le bercail de repos. 12
LES VIOLONS
Et lux perpetua luceat eis.
25 Seigneur, ces exilés de la seule patrie 12
Criaient vers toi du fond des gouffres ténébreux ; 12
Pitié, fais ruisseler des nuages sur eux 12
La source de splendeur promise en Samarie. 12
Que la mort leur devienne un baptême : revêts 12
30 Leurs flancs martyrisés de robes de lumière 12
Et donne leur essor dans la gloire première 12
Aux cygnes échappés aux pièges du Mauvais. 12
Magnifiques et purs, après la lutte rude, 12
Ils voleront vers les parterres triomphaux 12
35 Où des lys, méprisant la morsure des faux, 12
Fleurissent dans la joie et la béatitude, 12
Tandis que le soleil d'un ineffable été 12
Inonde d'or brûlant les roses et dilate 12
Les parfums épandus des coupes d'écarlate 12
40 Et que l'éther subtil chante l'éternité. 12
Rappelle au nid fermé les frissonnantes âmes 12
Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant 12
A travers l'harmonie et l'éblouissement 12
Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes, 12
45 Et les siècles futurs et ceux qui ne sont plus 12
Tressailleront en toi d'une même allégresse 12
En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse 12
Frémir au ciel nouveau le vol blanc des élus. 12
LES VIVANTS
Agnus Dei qui tollis peccata mundi
dona eis requiem.
Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable maître, 12
50 Nous sommes las des jours et des soleils maudits : 12
Épargne aux délivrés l'horreur du paradis, 12
Laisse les morts dormir en paix et ne plus être. 12
Tant de clous ont percé leurs membres ici-bas 12
Que nul flot baptismal rédempteur de leurs peines 12
55 Ne laverait les maux et les douleurs humaines 12
Et que ton repentir ne leur suffirait pas. 12
Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques 12
Flottant parmi l'encens des lys épanouis, 12
Monter de l'Océan tumultueux des nuits 12
60 Le râle inexpié des souffrances antiques ; 12
Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon 12
Dont une main haineuse a secoué les cordes, 12
Le souvenir rirait de tes miséricordes, 12
La voix de tes élus blasphémerait ton nom. 12
65 Roi du ciel, reste seul dans ta gloire exécrée 12
Formidable, sereine et libre de remords ; 12
O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts, 12
Et quand viendra pour nous la suprême vesprée, 12
Quand les vers rongeront les os de nos genoux, 12
70 Accorde à notre chair en tardive clémence 12
Non les vaines clartés, mais l'ombre, le silence, 12
Le sommeil et l'oubli de toi-même et de nous. 12
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