Métrique en Ligne
QUI_1/QUI33
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
LA GLOIRE DU VERBE
LES MYTHES
LE PRINCE D'AVALON
A Henri de Régnier.
Et le prince vivait dans l'île d'Avalon. 12
Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles ; 12
Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon 12
Éperdument, vers les étoiles fraternelles ; 12
5 Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers 12
Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme 12
Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers 12
Versaient un opulent arôme de cinname, 12
Tandis que, dans le parc peuplé par des sylvains 12
10 Et des faunes bordant les larges avenues, 12
Le clair de lune épars sur les marbres divins 12
Faisait étinceler la chair des nymphes nues. 12
Et le prince sur la terrasse du palais 12
Inclinait vers le sol ses doigts chargés de bagues 12
15 Et regardait, là-bas, sous les cieux violets, 12
Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues. 12
«Passez, je vous envie, ô frères ignorés, 12
Que les vents furieux emportent sur le gouffre ; 12
Je ne la connais plus et vous la reverrez 12
20 La terre désirable où l'homme pleure et souffre. 12
Je suis venu vers les rivages interdits 12
Pour obéir aux voix des blanches fiancées 12
Et mon âme succombe au poids des paradis 12
Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées. 12
25 Pour éveiller en moi d'immortelles douleurs 12
Dont la mémoire accrût mes extases futures, 12
J'ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs ; 12
Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures. 12
J'ai voulu renverser le palais merveilleux 12
30 Et je l'ai revêtu de rouges incendies, 12
Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux 12
Et portaient jusqu'au ciel les voûtes agrandies. 12
Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais, 12
Espérant rompre enfin les ineffables charmes, 12
35 L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais 12
Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes. 12
Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement ; 12
Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie : 12
Enveloppé de rêve et d'éblouissement 12
40 Je suis le prisonnier de l'immuable joie.» 12
Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait : 12
Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles 12
Et le souffle embaumé de la brise mêlait 12
Les chansons de la mer à la voix des violes. 12
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