Métrique en Ligne
QUI_1/QUI20
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
DE SABLE ET D'OR
LE JARDIN DE CASSIOPÉE
LE JARDIN DE CASSIOPÉE
L'HOMME
Sans matins blancs et sans étoiles dans la nuit, 12
A travers le brouillard où soufflait le vent rude, 12
J'ai cheminé de solitude en solitude 12
N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui. 12
5 Derrière les rocs noirs qui portent le ciel triste, 12
Monotone, la mer invisible pleurait ; 12
Et jusqu'à l'horizon barré par la forêt, 12
Les maigres tamaris et l'âpre fleur du ciste. 12
Puis des jours mornes dans le silence des bois 12
10 Pesèrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde : 12
Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde 12
N'a dissipé l'horreur d'ouïr ma seule voix ; 12
Et ce fut à nouveau la lande grise et plate, 12
La houle des genévriers et des ajoncs, 12
15 Que n'illustra jamais de tragiques rayons 12
Quelque couchant royal au manteau d'écarlate. 12
Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or, 12
Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles, 12
Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodèles 12
20 Et de sombres pavots qui conseillent la mort ? 12
CASSIOPÉE
Qui que tu sois, passant envoyé par le sort, 12
Venu des ténébreux chemins, franchis la haie, 12
Cueille d'un seul regard toute la roseraie, 12
Que ses vivants parfums te sauvent de la mort ! 12
25 Tends les mains ; le verger de force et de liesse 12
Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu 12
T'offre les raisins clairs, les oranges de feu, 12
Et si ta lèvre a soif d'amour, l'aube acquiesce, 12
La mer chante ; appelé par les conques des flots, 12
30 Après les jours ou les longs mois de bonne halte, 12
Tu partiras : le vin des amphores exalte 12
L'orgueil viril et pur qui sacre les héros 12
Et son baume puissant délivre l'âme esclave ; 12
Tu partiras dans la splendeur d'un soir d'été 12
35 Tel que le soleil rouge au ciel ensanglanté 12
Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'étrave. 12
Tourbillonne le vol des typhons éployés ! 12
Qu'importe au pèlerin dédaigneux et farouche 12
Ivre éternellement d'avoir bu sur ma bouche 12
40 Le mépris du ciel vide et des dieux reniés ! 12
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