Métrique en Ligne
PRU_4/PRU112
corpus Pamela Puntel
René-François SULLY PRUDHOMME
POÉSIES PUBLIÉES DANS LA REVUE DES DEUX MONDES
1870-1871
Revue des Deux Mondes
Tome Quatre-vingt-seizième, 1871
Le Renouveau
L’air soupire encor, tout sonore 8
Du dernier canon qui s’est tu ; 8
Le sol est tout tremblant encore 8
Des escadrons qui l’ont battu ; 8
5 Il plane encore des fumées 8
Sur les monceaux de noirs débris ; 8
Du piétinement des armées 8
Les champs sont encore meurtris ; 8
Et déjà, comme les étoiles 8
10 Perçant l’infini ténébreux, 8
Les amours écartent les voiles 8
Qu’un deuil immense a mis sur eux. 8
Les amours purs, les amours graves 8
Des fiancés et des époux, 8
15 Accompagnaient au feu les braves, 8
Menacés par les mêmes coups ; 8
Ils s’enfonçaient dans les mêlées, 8
Invisibles, silencieux, 8
Les lèvres par pudeur scellées, 8
20 Et par respect baissant les yeux ; 8
Car, dans la commune détresse, 8
Les jeunes gens, prêts à périr, 8
Refoulant toute leur tendresse, 8
Ne brûlaient que de s’aguerrir ; 8
25 Pour la seule amante permise, 8
La patrie, ils s’étaient levés, 8
Laissant la femme, la promise, 8
Ou les aveux inachevés ; 8
Il semblait que le mot « Je t’aime, » 8
30 Sous la douleur enseveli, 8
Fût, devant le péril suprême, 8
A jamais tombé dans l’oubli. 8
Mais voici qu’à l’espoir renaissent 8
Les amours en secret constants ; 8
35 Avec la sève ils reparaissent 8
Aux ordres divins du printemps. 8
Levant leurs yeux encor humides 8
Et des récentes peurs hagards, 8
Ils cherchent, revenants timides, 8
40 A croiser leurs anciens regards ; 8
Et puisque les prés reverdissent, 8
Que l’air s’embaume de lilas, 8
Que l’oiseau chante, ils s’enhardissent, 8
Ils s’appellent entre eux tout bas. 8
45 Plus d’un n’aura pas de réponse : 8
De quelque fosse inculte sort 8
L’écho seul du nom qu’il prononce ; 8
Son compagnon sous l’herbe dort ; 8
Sous l’herbe en hâte remuée, 8
50 Il dort, perdu, ne recevant 8
Que les pleurs froids de la nuée, 8
Les soupirs sans âme du vent. 8
Ton œuvre, ô guerre, la plus triste, 8
C’est d’ôter la main de la main, 8
55 C’est d’étouffer à l’improviste 8
Dans son aube un cher lendemain, 8
De violer les destinées, 8
D’abattre les hommes sans choix, 8
Et d’atteindre en les races nées 8
60 Les races à naitre à la fois. 8
Les couples d’amours qui demeurent 8
Font cependant de nouveaux nids ; 8
Parmi tant d’isolés qui pleurent 8
Ils se sentent mieux réunis ; 8
65 Ils se blottissent mieux ensemble 8
Après tant de jours alarmants ; 8
Le retour du baiser leur semble 8
Plus doux que ses commencements ; 8
Ainsi, comme ils surent s’attendre 8
70 Un long hiver, la neige aux pieds, 8
Ils se sont rejoints dans la cendre 8
Des anciens toits incendiés. 8
Fils de la nature éternelle 8
Par qui les champs ont refleuri, 8
75 Les amours, invaincus comme elle, 8
Vont réparer le sang tari. 8
O peuple futur qui tressailles 8
Aux flancs des femmes d’aujourd’hui, 8
Ce printemps sort des funérailles, 8
80 Souviens-toi que tu sors de lui ! 8
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