Métrique en Ligne
PRU_4/PRU110
corpus Pamela Puntel
René-François SULLY PRUDHOMME
POÉSIES PUBLIÉES DANS LA REVUE DES DEUX MONDES
1870-1871
Revue des Deux Mondes
Tome Quatre-vingt-quatorzième, 1871
FLEUR DE SANG
Pendant que nous faisions la guerre, 8
Le soleil a fait le printemps : 8
Des fleurs s’élèvent où naguère 8
S’entre-tuaient les combattants. 8
5 Malgré les morts qu’elles recouvrent, 8
Malgré cet effroyable engrais, 8
Voici leurs calices qui s’ouvrent, 8
Comme l’an dernier, purs et frais. 8
Comment a bleui la pervenche, 8
10 Comment le lis renaît-il blanc, 8
Et la marguerite encor blanche, 8
Quand la terre a bu tant de sang ? 8
Quand la sève qui les colore 8
N’est faite que de sang humain, 8
15 Comment peuvent-elles éclore 8
Sans une tache de carmin ? 8
Leur semble-t-il pas que la honte 8
Des vieux parterres envahis 8
Jusques à leurs corolles monte 8
20 Des entrailles de leur pays ? 8
Sous nos yeux l’étranger les cueille ; 8
Pas une ne lui tient rigueur 8
Et, quand il passe, ne s’effeuille 8
Pour ne point sourire aux vainqueurs ; 8
25 Pas une ne dit à l’oreille : 8
« Je suis cette fois sans parfum ! » 8
Au papillon qui la réveille : 8
« Cette fois tu m’es importun ! » 8
Pas une, en ces plaines fatales 8
30 Où tomba plus d’un pauvre enfant, 8
N’a, par pudeur, de ses pétales 8
Assombri l’éclat triomphant. 8
De notre deuil tissant leur gloire, 8
Elles ne nous témoignent rien, 8
35 Car les fleurs n’ont pas de mémoire, 8
Nouvelles dans un monde ancien. 8
O fleurs, de vos tuniques neuves, 8
Refermez tristement les plis : 8
Ne vous sentez-vous pas les veuves 8
40 Des jeunes cœurs ensevelis ? 8
A nos malheurs, indifférentes, 8
Vous vous étalez sans remords : 8
Fleurs de France, un peu nos parentes, 8
Vous devriez pleurer nos morts. 8
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