Métrique en Ligne
PRU_2/PRU94
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
LE SIGNE
On dit que les désirs des mères 8
Pendant qu'elles portent l'enfant, 8
Fussent-ils d'étranges chimères, 8
Le marquent d'un signe vivant ; 8
5 Que ce stigmate est une image 8
De l'objet qu'elles ont rêvé, 8
Qu'il croît et s'incruste avec l'âge, 8
Qu'il ne peut pas être lavé ! 8
Et le vœu, bizarre ou sublime, 8
10 Formé dès avant le berceau, 8
Comme dans la chair il s'imprime, 8
Peut marquer l'âme de son sceau. 8
Quel fut donc ton cruel caprice, 8
Le jour où tu conçus mon cœur, 8
15 Ô toi, pourtant ma bienfaitrice, 8
Toi qui m'as légué ta douleur ? 8
Quand tu m'aimais sans me connaître, 8
Pâle et déjà ma mère un peu, 8
Un nuage voguait peut-être 8
20 Comme une île blanche au ciel bleu ; 8
Et n'as-tu pas dit : « qu'on m'y mène ! 8
C'est là que je veux demeurer ! » 8
L'oasis était surhumaine, 8
Et l'infini t'a fait pleurer. 8
25 Tu crias : « des ailes, des ailes ! » 8
Te soulevant pour défaillir… 8
Et ces heures-là furent celles 8
Où tu m'as senti tressaillir. 8
De là vient que toute ma vie, 8
30 Halluciné, faible, incertain, 8
Je traîne l'incurable envie 8
De quelque paradis lointain… 8
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