Métrique en Ligne
PRU_2/PRU93
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
LA CHANSON DES MÉTIERS
Ceux qui tiennent le soc, la truelle ou la lime, 12
Sont plus heureux que vous, enfants de l'art sublime ! 12
Chaque jour les vient secourir 8
Dans leurs quotidiennes misères ; 8
5 Mais vous, les travailleurs pensifs aux mains légères, 12
Vos ouvrages vous font mourir. 8
L'austère paysan laboure pour les autres, 12
Et ses rudes travaux sont pires que les vôtres ; 12
Mais il retient, pour se nourrir, 8
10 Sa part des gerbes étrangères ; 8
Vous qui chantez, tressant des guirlandes légères, 12
Les moissons vous laissent mourir. 8
Le rouge forgeron, dans la nuit de sa forge, 12
Sue au brasier brûlant qui lui sèche la gorge ; 12
15 Mais il boit, sans les voir tarir, 8
Les petits vins dans les gros verres ; 8
Et vous qui ciselez l'or des coupes légères, 12
Les celliers vous laissent mourir. 8
Le pâle tisserand, courbé devant ses toiles, 12
20 Ne contemple jamais l'azur ni les étoiles ; 12
Mais il parvient à se couvrir, 8
La froidure ne l'atteint guères ; 8
Vous qui tramez le rêve en dentelles légères, 12
Les longs hivers vous font mourir. 8
25 L'audacieux maçon qui, d'étage en étage, 12
Suspend sa vie au mince et frêle échafaudage 12
A bien des dangers à courir ; 8
Mais ses fils auront des chaumières ; 8
Vous qui dressez vers Dieu des échelles légères, 12
30 Sans foyer vous devez mourir. 8
Tous vaincus, mais en paix avec la destinée, 12
Aux approches du soir, la tâche terminée, 12
Reviennent aimer sans souffrir 8
Près des robustes ménagères ; 8
35 Vous qui poursuivez l'âme aux caresses légères, 12
Les tendresses vous font mourir. 8
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