Métrique en Ligne
PRU_2/PRU92
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
LE PREMIER DEUIL
En ce temps-là, je me rappelle 8
Que je ne pouvais concevoir 8
Pourquoi, se pouvant faire belle, 8
Ma mère était toujours en noir. 8
5 Quand s'ouvrait le bahut plein d'ombre, 8
J'éprouvais un vague souci 8
De voir près d'une robe sombre 8
Pendre un long voile sombre aussi. 8
Le linge, radieux naguère, 8
10 D'un feston noir était ourlé : 8
Tout ce qu'alors portait ma mère, 8
Sa tristesse l'avait scellé. 8
Sourdement et sans qu'on y pense, 8
Le noir descend des yeux au cœur ; 8
15 Il me révélait quelque absence 8
D'une interminable longueur. 8
Quand je courais sur les pelouses 8
Où les enfants mêlaient leurs jeux, 8
J'admirais leurs joyeuses blouses, 8
20 Dont j'enviais les carreaux bleus ; 8
Car déjà la douleur sacrée 8
M'avait posé son crêpe noir, 8
Déjà je portais sa livrée : 8
J'étais en deuil sans le savoir. 8
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