Métrique en Ligne
PRU_2/PRU84
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
L'AGONIE
Vous qui m'aiderez dans mon agonie, 10
Ne me dites rien ; 5
Faites que j'entende un peu d'harmonie, 10
Et je mourrai bien. 5
5 La musique apaise, enchante et délie 10
Des choses d'en bas : 5
Bercez ma douleur ; je vous en supplie, 10
Ne lui parlez pas. 5
Je suis las des mots, je suis las d'entendre 10
10 Ce qui peut mentir ; 5
J'aime mieux les sons qu'au lieu de comprendre 10
Je n'ai qu'à sentir ; 5
Une mélodie où l'âme se plonge 10
Et qui, sans effort, 5
15 Me fera passer du délire au songe, 10
Du songe à la mort. 5
Vous qui m'aiderez dans mon agonie, 10
Ne me dites rien. 5
Pour allégement un peu d'harmonie 10
20 Me fera grand bien. 5
Vous irez chercher ma pauvre nourrice 10
Qui mène un troupeau, 5
Et vous lui direz que c'est mon caprice, 10
Au bord du tombeau, 5
25 D'entendre chanter tout bas, de sa bouche, 10
Un air d'autrefois, 5
Simple et monotone, un doux air qui touche 10
Avec peu de voix. 5
Vous la trouverez : les gens des chaumières 10
30 Vivent très longtemps, 5
Et je suis d'un monde où l'on ne vit guères 10
Plusieurs fois vingt ans. 5
Vous nous laisserez tous les deux ensemble : 10
Nos cœurs s'uniront ; 5
35 Elle chantera d'un accent qui tremble, 10
La main sur mon front. 5
Lors elle sera peut-être la seule 10
Qui m'aime toujours, 5
Et je m'en irai dans son chant d'aïeule 10
40 Vers mes premiers jours, 5
Pour ne pas sentir, à ma dernière heure, 10
Que mon cœur se fend, 5
Pour ne plus penser, pour que l'homme meure 10
Comme est né l'enfant. 5
45 Vous qui m'aiderez dans mon agonie, 10
Ne me dites rien ; 5
Faites que j'entende un peu d'harmonie, 10
Et je mourrai bien. 5
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