Métrique en Ligne
PRU_2/PRU83
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
LA VIEILLESSE
Viennent les ans ! J'aspire à cet âge sauveur 12
Où mon sang coulera plus sage dans mes veines, 12
Où, les plaisirs pour moi n'ayant plus de saveur, 12
Je vivrai doucement avec mes vieilles peines. 12
5 Quand l'amour, désormais affranchi du baiser, 12
Ne me brûlera plus de sa fièvre mauvaise 12
Et n'aura plus en moi d'avenir à briser, 12
Que je m'en donnerai de tendresse à mon aise ! 12
Bienheureux les enfants venus sur mon chemin ! 12
10 Je saurai transporter dans les buissons l'école ; 12
Heureux les jeunes gens dont je prendrai la main ! 12
S'ils aiment, je saurai comment on les console. 12
Et je ne dirai pas : « c'était mieux de mon temps. » 12
Car le mieux d'autrefois c'était notre jeunesse ; 12
15 Mais je m'approcherai des âmes de vingt ans 12
Pour qu'un peu de chaleur en mon âme renaisse ; 12
Pour vieillir sans déchoir, ne jamais oublier 12
Ce que j'aurai senti dans l'âge où le cœur vibre, 12
Le beau, l'honneur, le droit qui ne sait pas plier, 12
20 Et jusques au tombeau penser en homme libre. 12
Et vous, oh ! Quel poignard de ma poitrine ôté, 12
Femmes, quand du désir il n'y sera plus traces, 12
Et qu'alors je pourrai ne voir dans la beauté 12
Que le dépôt en vous du moule pur des races ! 12
25 Puissé-je ainsi m'asseoir au faîte de mes jours 12
Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves, 12
Comme du haut des monts on voit les grands détours 12
Et les plis tourmentés des routes et des fleuves ! 12
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