Métrique en Ligne
PRU_2/PRU77
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
DÉCEPTION
Une eau croupie est un miroir 8
Plus fidèle encor qu'une eau pure, 8
Et l'image la transfigure, 8
Prêtant ses couleurs au fond noir. 8
5 Aurore, colombe et nuée 8
Y réfléchissent leur candeur, 8
Et du firmament la grandeur 8
N'y semble pas diminuée. 8
À fleur de ce cloaque épais 8
10 Les couleuvres et les sangsues, 8
Mille bêtes inaperçues, 8
Rôdent sans en troubler la paix. 8
Le reflet d'en haut les recouvre, 8
Et le jeu trompeur du rayon 8
15 Donne au regard l'illusion 8
D'un grand vallon d'azur qui s'ouvre. 8
À travers ces monstres hideux 8
Le ciel luit sans rides ni voiles, 8
Il les change tous en étoiles 8
20 Et s'arrondit au-dessous d'eux. 8
Mais la bouche qui veut se tendre 8
Vers l'étoile pour s'y poser, 8
Sent au-devant de son baiser 8
Surgir un monstre pour le prendre. 8
25 Tel se reflète l'idéal 8
Dans les yeux d'une amante infâme, 8
Et telle, en y plongeant, notre âme 8
N'y sent de réel que le mal. 8
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