Métrique en Ligne
PRU_2/PRU73
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
EFFET DE NUIT
Voyager seul est triste, et j'ai passé la nuit 12
Dans une étrange hôtellerie. 8
À la plus vieille chambre un enfant m'a conduit, 12
De galerie en galerie. 8
5 Je me suis étendu sur un grand lit carré 12
Flanqué de lions héraldiques ; 8
Un rideau blanc tombait à longs plis, bigarré 12
Du reflet des vitraux gothiques. 8
J'étais là, recevant, muet et sans bouger, 12
10 Les philtres que la lune envoie, 8
Quand j'ouïs un murmure, un froissement léger, 12
Comme fait l'ongle sur la soie ; 8
Puis comme un battement de fléaux sourds et prompts 12
Dans des granges très éloignées ; 8
15 Puis on eût dit, plus près, le han des bûcherons 12
Tour à tour lançant leurs cognées ; 8
Puis un long roulement, un vaste branle-bas, 12
Pareil au bruit d'un char de tôle 8
Attelé d'un dragon toujours fumant et las, 12
20 Qui souffle à chaque effort d'épaule ; 8
Puis soudain serpenta dans l'infini du soir 12
Un sifflement lugubre, intense, 8
Comme le cri perçant d'une âme au désespoir 12
En fuite par le vide immense. 8
25 Or, c'était un convoi que j'entendais courir 12
À toute vapeur dans la plaine. 8
Il passa, laissant loin derrière lui mourir 12
Son fracas et sa rouge haleine. 8
Le passage du monstre un moment ébranla 12
30 Les carreaux étroits des fenêtres, 8
Fit geindre un clavecin poudreux qui dormait là 12
Et frémir des portraits d'ancêtres ; 8
Sur la tapisserie Actéon tressaillit, 12
Diane contracta les lèvres ; 8
35 Un plâtras détaché du haut du mur faillit 12
Briser l'horloge de vieux sèvres. 8
Ce fut tout. Le silence aux voûtes du plafond 12
Replia lentement son aile, 8
Et la nuit, arrachée à son rêve profond, 12
40 Se redrapa plus solennelle. 8
Mais mon cœur remué ne se put assoupir : 12
J'écoutais toujours dans l'espace 8
Cette course effrénée et ce strident soupir, 12
Image d'un siècle qui passe. 8
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