Métrique en Ligne
PRU_2/PRU46
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
PREMIÈRE SOLITUDE
On voit dans les sombres écoles 8
Des petits qui pleurent toujours ; 8
Les autres font leurs cabrioles, 8
Eux, ils restent au fond des cours. 8
5 Leurs blouses sont très bien tirées, 8
Leurs pantalons en bon état, 8
Leurs chaussures toujours cirées ; 8
Ils ont l'air sage et délicat. 8
Les forts les appellent des filles, 8
10 Et les malins des innocents : 8
Ils sont doux, ils donnent leurs billes, 8
Ils ne seront pas commerçants. 8
Les plus poltrons leur font des niches, 8
Et les gourmands sont leurs copains ; 8
15 Leurs camarades les croient riches, 8
Parce qu'ils se lavent les mains. 8
Ils frissonnent sous l'œil du maître, 8
Son ombre les rend malheureux. 8
Ces enfants n'auraient pas dû naître, 8
20 L'enfance est trop dure pour eux ! 8
Oh ! La leçon qui n'est pas sue, 8
Le devoir qui n'est pas fini ! 8
Une réprimande reçue, 8
Le déshonneur d'être puni ! 8
25 Tout leur est terreur et martyre : 8
Le jour, c'est la cloche, et, le soir, 8
Quand le maître enfin se retire, 8
C'est le désert du grand dortoir ; 8
La lueur des lampes y tremble 8
30 Sur les linceuls des lits de fer ; 8
Le sifflet des dormeurs ressemble 8
Au vent sur les tombes, l'hiver. 8
Pendant que les autres sommeillent, 8
Faits au coucher de la prison, 8
35 Ils pensent au dimanche, ils veillent 8
Pour se rappeler la maison ; 8
Ils songent qu'ils dormaient naguères 8
Douillettement ensevelis 8
Dans les berceaux, et que les mères 8
40 Les prenaient parfois dans leurs lits. 8
Ô mères, coupables absentes, 8
Qu'alors vous leur paraissez loin ! 8
À ces créatures naissantes 8
Il manque un indicible soin ; 8
45 On leur a donné les chemises, 8
Les couvertures qu'il leur faut : 8
D'autres que vous les leur ont mises, 8
Elles ne leur tiennent pas chaud. 8
Mais, tout ingrates que vous êtes, 8
50 Ils ne peuvent vous oublier, 8
Et cachent leurs petites têtes, 8
En sanglotant, sous l'oreiller. 8
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