Métrique en Ligne
PRU_1/PRU19
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Vaines Tendresses
1875
DOUCEUR D'AVRIL
À ALBERT MÉRAT
J'ai peur d'Avril, peur de l'émoi 8
Qu'éveille sa douceur touchante ; 8
Vous qu'elle a troublés comme moi, 8
C'est pour vous seuls que je la chante. 8
5 En décembre, quand l'air est froid, 8
Le temps brumeux, le jour livide, 8
Le cœur, moins tendre et plus étroit, 8
Semble mieux supporter son vide. 8
Rien de joyeux dans la saison 8
10 Ne lui fait sentir qu'il est triste ; 8
Rien en haut, rien à l'horizon 8
Ne révèle qu'un ciel existe. 8
Mais, dès que l'azur se fait voir, 8
Le cœur s'élargit et se creuse, 8
15 Et s'ouvre pour le recevoir 8
Dans sa profondeur douloureuse, 8
Et ce bleu qui lui rit de loin, 8
L'attirant sans jamais descendre, 8
Lui donne l'infini besoin 8
20 D'un essor impossible à prendre. 8
Le bonheur candide et serein, 8
Qui s'exhale de toutes choses, 8
L'oppresse, et son premier chagrin 8
Rajeunit à l'odeur des roses. 8
25 Il sent, dans un réveil confus, 8
Les anciennes ardeurs revivre, 8
Et les mêmes anciens refus 8
Le repousser dès qu'il s'y livre. 8
J'ai peur d'Avril, peur de l'émoi 8
30 Qu'éveille sa douceur touchante ; 8
Vous qu'elle a troublés comme moi, 8
C'est pour vous seuls que je la chante. 8
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