Métrique en Ligne
PRU_1/PRU17
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Vaines Tendresses
1875
PARFUMS ANCIENS
A FRANÇOIS COPPÉE
O senteur suave et modeste 8
Qu'épanchait le front maternel, 8
Et dont le souvenir nous reste 8
Comme un lointain parfum d'autel, 8
5 Pure émanation divine 8
Qui mêlais en moi ta douceur 8
A la petite senteur fine 8
Des longues tresses d'une sœur, 8
Chère odeur, tu t'en es allée 8
10 Où sont les parfums de jadis, 8
Où remonte l'âme exhalée 8
Des violettes et des lis. 8
* * *
O fraîche senteur de la vie 8
Qu'au temps des premières amours 8
15 Un baiser candide a ravie 8
Au plus délicat des velours, 8
Loin des lèvres décolorées 8
Tu t'es enfuie aussi là-bas, 8
Jusqu'où planent, évaporées, 8
20 Les jeunesses des vieux lilas, 8
Et le cœur, cloué dans l'abîme, 8
Ne peut suivre, à ta trace uni, 8
Le voyage épars et sublime 8
Que tu poursuis dans l'infini. 8
25 Mais ô toi, l'homicide arome 8
Dont en pleurant nous nous grisons, 8
Où notre cœur cherchait un baume 8
Et n'aspira que des poisons, 8
Ah ! toi seule, odeur trop aimée 8
30 Des cheveux trop noirs et trop lourds, 8
Tu nous laisses, courte fumée, 8
Des vestiges brûlant toujours. 8
Dans les replis où tu te glisses 8
Tu déposes un marc fatal, 8
35 Comme l'âcre odeur des épices 8
S'incruste aux coins d'un vieux cristal. 8
* * *
Et tel, dans une eau fraîche et claire, 8
Le flacon, vainement plongé, 8
Garde l'âcreté séculaire 8
40 De l'essence qui l'a rongé, 8
Tel, dans la tendresse embaumante 8
Que verse au cœur, pour l'assainir, 8
Une fidèle et chaste amante, 8
Sévit encor ton souvenir. 8
45 Ô parfum modeste et suave, 8
Épanché du front maternel, 8
Qui laves ce que rien ne lave, 8
Où donc es-tu, parfum d'autel ! 8
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