Métrique en Ligne
PRU_1/PRU15
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Vaines Tendresses
1875
L'OBSTACLE
Les lèvres qui veulent s'unir, 8
À force d'art et de constance, 8
Malgré le temps et la distance, 8
Y peuvent toujours parvenir. 8
5 On se fraye toujours des routes ; 8
Flots, monts, déserts n'arrêtent point, 8
De proche en proche on se rejoint, 8
Et les heures arrivent toutes. 8
Mais ce qui fait durer l'exil 8
10 Mieux que l'eau, le roc ou le sable, 8
C'est un obstacle infranchissable 8
Qui n'a pas l'épaisseur d'un fil. 8
C'est l'honneur ; aucun stratagème, 8
Nul âpre effort n'en est vainqueur, 8
15 Car tout ce qu'il oppose au cœur 8
Il le puise dans le cœur même. 8
Vous savez s'il est rigoureux, 8
Pauvres couples à l'âme haute 8
Qu'une noble horreur de la faute 8
20 Empêche seule d'être heureux. 8
Penchés sur le bord de l'abîme, 8
Vous respectez au fond de vous, 8
Comme de cruels garde-fous 8
Les arrêts de ce juge intime ; 8
25 Purs amants sur terre égarés, 8
Quel martyre étrange est le vôtre ! 8
Plus vos cœurs sont près l'un de l'autre, 8
Plus ils se sentent séparés. 8
Oh ! que de fois fermente et gronde 8
30 Sous un air de froid nonchaloir 8
Votre souriant désespoir 8
Dans la mascarade du monde ! 8
Que de cris toujours contenus ! 8
Que de sanglots sans délivrance ! 8
35 Sous l'apparente indifférence 8
Que d'héroïsmes méconnus ! 8
Aux ivresses, même impunies, 8
Vous préférez un deuil plus beau, 8
Et vos lèvres, même au tombeau, 8
40 Attendent le droit d'être unies. 8
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