Métrique en Ligne
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Eugène POTTIER
Chants révolutionnaires
1887
LE CHOMAGE
A Léon CLADEL.
Mon patron n'a plus d'ouvrage 7
Et nous n'avons plus de bois : 7
C'est l'hiver, c'est le chômage. 7
Toutes les morts à la fois ! 7
5 Pas un pouce de besogne. 7
Il neige : le ciel est gris ; 7
A chaque atelier je cogne, 7
J'ai déjà fait tout Paris. 7
Plus de crédit, rien à vendre 7
10 Et le loyer sur les bras. 7
Partout on me dit d'attendre, 7
Et la faim qui n'attend pas ! 7
Des riches (Dieu leur pardonne !) 7
M'ont dit souvent : Mon ami, 7
15 Il faut, quand l'ouvrage donne, 7
Faire comme la fourmi ! 7
Épargner ? Mais c'est à peine 7
Si l'on gagne pour manger : 7
Quand on touche sa quinzaine, 7
20 On la doit au boulanger. 7
La nuit est dure aux mansardes ; 7
Pas de soupers réchauffants ; 7
La mère en vain de ses hardes 7
Couvre le lit des enfants. 7
25 Les petites créatures 7
Hier ont bien grelotté. 7
Dire que nos couvertures 7
Sont au mont-de-piété ! 7
L'autre hiver, mon cœur en crève, 7
30 J'ai perdu le tout petit ; 7
C'est rare qu'on les élève 7
Quand la mère a tant pâti. 7
Avant peu, je dois le craindre, 7
Nos deux jumeaux le suivront… 7
35 Après tout, les plus à plaindre 7
Ne sont pas ceux qui s'en vont ! 7
Combien, chargés de famille, 7
Qui boivent pour s'étourdir ! 7
Mon aînée est une fille, 7
40 J'ai peur de la voir grandir. 7
Dieu veuille qu'elle se tienne, 7
Car, à seize ans, pour un bal, 7
Pour une robe d'indienne, 7
Un pauvre enfant tourne à mal ! 7
45 Je ne veux plus, quand je marche, 7
Le soir, passer sur le pont, 7
A l'eau qui gémit sous l'arche, 7
Quelque chose en moi répond : 7
Dans ton gouffre noir, vieux fleuve, 7
50 Est-ce l'homme que tu plains ? 7
Avec tes soupirs de veuve 7
Et tes sanglots d'orphelins ! 7
Mon patron n'a plus d'ouvrage 7
Et nous n'avons plus de bois : 7
55 C'est l'hiver, c'est le chômage, 7
Toutes les morts à la fois ! 7
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