Métrique en Ligne
PON_1/PON95
Raoul PONCHON
La muse au cabaret
1920
PROPOS DE TABLE
LA MORT
À Henri Deslinières.
Un vieillard râlait sur sa couche 8
Souffrant tous les maux d’ici-bas ; 8
Déjà bleuissaient sur sa bouche 8
Les violettes du trépas. 8
5 Cependant, d’aurore en aurore, 8
Trahi par le cruel destin, 8
Pour souffrir davantage encore 8
Il s’éveillait chaque matin. 8
« Ô mort ! abrège mon martyre, » 8
10 — Criait l’infortuné vieillard. — 8
Il ne t’importe que j’expire 8
Un peu plus tôt, un peu plus tard ? 8
« Je n’ai vécu que trop d’années, 8
Et j’aspire à l’éternel soir ; 8
15 Car dans mes prunelles fanées 8
Le Monde se reflète en noir. 8
« Je n’attends plus rien de la Vie. 8
Compte, au lieu de me l’acquérir, 8
À la Jeunesse inassouvie 8
20 Le temps qu’il me reste à courir. » 8
Et voilà que soudain, blafarde, 8
Sous son masque de carnaval, 8
Il vit l’effroyable camarde, 8
Debout sur son seuil, à cheval ! 8
25 « Enfin ! dit-il. Que tu m’es bonne, 8
Toi, qui si longtemps me leurras ! » 8
Et tout ainsi qu’à la Madone, 8
Il lui tendit ses maigres bras. 8
Mais elle éperonna sa bête, 8
30 Et continua son chemin, 8
Sans seulement tourner la tête 8
Vers ce vieillard en parchemin. 8
***
Plus loin, au milieu des prairies, 8
Deux amants, ceux-là bien vivants, 8
35 Couraient dans les herbes fleuries, 8
Vous eussiez dit de deux enfants. 8
Ils ne connaissaient de la Vie, 8
Les pauvres petits ! que l’Amour ; 8
Et leur âme était asservie 8
40 L’une à l’autre, sans nul retour. 8
Ils allaient, joyeux, par la plaine, 8
Souriant de leurs yeux d’Avril ; 8
Le vent retenait son haleine 8
Pour ne troubler point leur babil. 8
45 Et voici que la Mort affreuse 8
Rageusement fondit sur eux, 8
Et d’un geste prit l’amoureuse 8
Dans les bras de son amoureux. 8
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