Métrique en Ligne
PON_1/PON87
Raoul PONCHON
La muse au cabaret
1920
PROPOS DE TABLE
LA REINE, MA BLANCHISSEUSE
À E. Gillet
Ah ! c’est toi, chameau ! lui dis-je. 7
Parbleu ! jeune callipyge, 7
Depuis tantôt dix-sept ans 7
Je t’espérais, pour te dire 7
5 Que c’est bien fini de rire. 7
Avec mon linge. Il est temps. 7
« Tu peux le garder ton linge — 7
Fit-elle — espèce de singe ! 7
Je m’en fous, et… faudrait voir 7
10 À me parler moins à l’aise, 7
Car je suis, ne t’en déplaise 7
La reine de mon lavoir. » 7
Ah ! fichtre ! bouffre ! une reine ! 7
Eh bien donc, ma souveraine, 7
15 Je suis votre humble sujet. 7
Sa Majesté veuille croire 7
Que me moquer de sa poire 7
N’entre pas dans mon projet. 7
Mais dis-moi, ma pauvre fille, 7
20 Ornement de ta famille, 7
Pour être reine, tu n’en 7
Es pas moins ma blanchisseuse ? 7
Et c’est à la blanchisseuse 7
Que je parle maintenant : 7
25 Écoute ! de quoi me plains-je ?… 7
Eh bien, de ce que mon linge 7
Connaît le pire destin, 7
S’effrite sous tes doigts roses, 7
Et ne vit, comme les roses, 7
30 Que l’espace d’un matin. 7
Regarde-moi ces chemises ; 7
Je les ai quatre fois mises, 7
Elles ont tantôt vécu ; 7
Et, sans les croire éternelles, 7
35 Je te livre des flanelles, 7
Tu me rends des torche-culs ! 7
Mes mouchoirs sont tout en miettes. 7
Que dire de mes chaussettes ! 7
Or, je voudrais bien savoir 7
40 De quelle étrange lessive, 7
Furieuse et convulsive, 7
Tu te sers à ton lavoir ? 7
Mais, si je fais des grimaces, 7
C’est surtout pour mes « limaces. » 7
45 Je me demande comment, 7
— Soit dit — entre parenthèses, — 7
Il se fait que tu m’empèses 7
Chacune différemment ? 7
En voici, par exemple, une, 7
50 Molle comme un clair de lune, 7
Qui vous filtre entre les doigts ; 7
Cette autre est une cuirasse, 7
Du Moyen Age… De grâce, 7
Répartis mieux ton empois. 7
55 À part ça, comme personne, 7
Au fond, ne m’impressionne 7
Autant comme fait un roi, 7
Sinon pourtant une reine, 7
Je n’ai plus, ma souveraine, 7
60 Qu’à m’incliner devant toi. 7
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