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…Or, j’avais une tante… oh ! mais, pas une tante… |
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Vous savez bien… non, non… Une femme épatante, |
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Dont vous avez ici, devant vous, le neveu. |
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Elle était très austère et n’allait que fort peu |
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Au théâtre, que moi je goûte sans partage — |
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Jusques au jour qu’elle y fréquenta davantage. |
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Mais, passons… |
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Mais, passons… Un beau soir donc, venait de finir |
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Une pièce dont j’ai perdu le souvenir, |
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Laquelle avait été fraîchement accueillie |
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— Si j’étais plus méchant, je vous dirais « cueillie » — |
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Elle fut déclarée horriblement pompier. |
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Et rasante… ah ! j’y suis… elle était de Barbier ! |
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Moi, je n’en pouvais plus d’avoir vu cette ordure, |
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Sans ombre de bon sens ni de littérature ; |
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Mais voilà qu’au moment que j’allais m’en aller, |
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Songeant aux adjectifs dont je dois l’accabler, |
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Ma tante Jézabel devant moi s’est montrée |
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Comme au jour de sa mort pompeusement parée |
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Non… ça, c’est du Racine. Excusez-moi, mon Dieu. |
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Ma tante me dit donc comme ça : « Mon neveu. |
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J’espère que vous n’aurez pas la hardiesse |
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D’excommunier cette incomparable pièce. |
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Elle est patriotique et morale. » — Allons, bon ! |
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Je te ferai sur elle un soigné feuilleton, |
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Lui dis-je. Il est certain pour moi que si la pièce |
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Te plaît, elle en mettra bien d’autres en liesse. |
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Et les événements me donnèrent raison. |
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À partir de ce jour, j’eus le même horizon |
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Que ma tante, et son opinion fut la mienne, |
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Étant celle, après tout, de la sombre moyenne |
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Du public. Oui, messieurs, à partir de ce jour, |
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Je ne parlais jamais d’un succès ou d’un four |
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Sans avoir consulté ma vénérable tante. |
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Je me montrais ravi, quand elle était contente. |
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Et tous les feuilletons dont j’ai tiré profit, |
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Autant dire que c’est la « povre » qui les fit. |
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Sans elle, un jour, j’avais prôné « la Bûcheronne » |
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Eh bien, il s’en fallait que la pièce fût bonne. |
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Elle n’était que chiffe, elle n’était que vent. |
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Ma tante me le fit savoir, le jour suivant. |
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Croyais-je sottement que tel drame était triste ? |
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Ma tante me disait : « Va donc, vieux pessimiste ! » |
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Et me prouvait, par A plus Bbé, que j’avais tort. |
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J’allais donc le revoir, et je m’en tords encor. |
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S’était-elle, en revanche, amplement ennuyée |
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Où j’avais pouffé, moi, à gorge déployée, |
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Je revenais tôt sur mon premier jugement, |
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Et m’ennuyais alors rétrospectivement. |
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Or, voilà très longtemps que cette tante est morte. |
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Et cependant, j’écris toujours, en quelque sorte. |
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Mais je ne sais plus bien ce que je dis… oh ! non. |
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Et chaque fois c’est la même chose, cré nom ! |
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Je demeure anxieux devant la page blanche, |
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Quand je dois perpétrer mon lundi du dimanche. |
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Et le cœur tout rempli d’un singulier émoi, |
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Je dis : « Du haut du Ciel, ma tante, inspire-moi ! » |
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