Métrique en Ligne
PON_1/PON6
Raoul PONCHON
La muse au cabaret
1920
LA MUSE AU CABARET
CABARETS DU DIMANCHE
Par les déesses et les Dieux ! 8
Est-il rien de plus odieux 8
Que les cabarets, le dimanche, 8
Ou tout autre jour férié ? 8
5 On rêve d’être expatrié 8
De l’autre côté de la Manche. 8
Tous les cafés de bas en haut, 8
Jusqu’au moindre, sont pris d’assaut 8
Par une folle clientèle, 8
10 Dont c’est le seul jour de gala, 8
Et qui, justement pour cela, 8
Y trouve un agrément — dit-elle ! 8
Je veux bien que pour les patrons 8
Ce supplément de biberons 8
15 Soit une appréciable aubaine ; 8
Mais les clients habituels, 8
Quotidiens, essentiels, 8
C’est ceux-là qui n’ont pas de veine ! 8
Voyez comme ils ont l’air marri. 8
20 Ils n’ont pas leur coin favori. 8
Il est pris par une famille. 8
Et leur manille, alors ?… Bonsoir ! 8
Ils pourraient boire sans s’asseoir, 8
À la rigueur, mais… la manille ? 8
25 Et les clients affluent toujours. 8
L’atmosphère, sans nul recours, 8
Devient irrespirable, immonde. 8
Est-ce que, d’ailleurs, un café, 8
Serait-il dix fois occupé, 8
30 A jamais refusé du monde ? 8
L’huis ne cesse donc de s’ouvrir, 8
Et les courants d’air de courir. 8
Le patron, tout à sa recette, 8
Installe les nouveaux clients 8
35 Sur vos genoux conciliants… 8
Il vous en mettrait sur la tête. 8
J’entends des gens me dire : « Mais, 8
Sale égoïste que tu es, 8
Est-ce qu’un café, somme toute, 8
40 N’est pas une façon d’endroit 8
Neutre, où tout le monde a le droit 8
De pénétrer ? » Eh oui ! sans doute. 8
Je le regrette, voilà tout. 8
Je voudrais que ce fut surtout 8
45 Le lieu réservé, solitaire, 8
Où viennent leurs chagrins noyer, 8
Ceux-là qui n’ont pas de foyer, 8
Les obstinés célibataires. 8
Et j’ajoute encore ceci : 8
50 Au célibataire endurci 8
Le café tient lieu de famille. 8
Et voilà d’où vient son ennui ; 8
Il se croit harcelé chez lui, 8
Quand le dimanchard y fourmille. 8
55 Certes, si tous les caboulots 8
Étaient inflexiblement clos, 8
Il se marierait davantage, 8
Quitte — comme je sous-entends — 8
À divorcer de temps en temps… 8
60 Mais, Piot, le triste avantage ! 8
logo du CRISCO logo de l'université