Métrique en Ligne
PON_1/PON59
Raoul PONCHON
La muse au cabaret
1920
LA MUSE AU CABARET
INSATIABILITÉ
Allons, debout ! belle endormie, 8
Misère, donne moi la main, 8
Et reprenons notre chemin. 8
Ô toi, ma muse, ô toi, ma mie. 8
5 Eh bien ! qu’est-ce encore aujourd’hui ? 8
Tu n’es pas à la rigolade, 8
Est-ce que tu serais malade ? 8
As-tu mal dormi cette nuit ? 8
Quelqu’un chercha-t-il à te nuire ? 8
10 Demain il sera pourfendu. 8
Ou quelque autre t’a-t-il vendu 8
Des pois qui ne voulaient pas cuire ?… 8
Aurais-tu rêvé, loin de moi, 8
D’une condition meilleure ? 8
15 N’es-tu pas trop vieille, à celte heure ? 8
Personne ne voudrait de toi. 8
Pourquoi me faire cette tête ? 8
Mon dieu… si je ne te plais plus, 8
Tous discours seraient superflus. 8
20 Mais quoi ! réfléchis, sois honnête : 8
Tu n’avais pas un traître sou, 8
Au début de notre collage, 8
Et, pour quant à ton pucelage, 8
Il était le diable sait où ? 8
25 Tu n’étais pas, quand je t’ai prise, 8
En tout grosse comme le poing ; 8
D’où vient ce léger embonpoint… 8
Et ce joli teint de cerise ?… 8
Ne vient-il pas uniquement 8
30 Du beurre que je te baratte ? 8
Ah ! je te trouve bien ingrate, 8
Et bien oublieuse, vraiment. 8
Rappelle-toi que nous vécûmes 8
De beaux jours, aimant et rêvant, 8
35 Libres comme l’air et le vent, 8
Loin des foules et des bitumes. 8
Rappelle-toi nos beaux printemps, 8
La chose n’est pas si lointaine ; 8
Et fais grâce à ma quarantaine 8
40 En ne songeant qu’à mes vingt ans. 8
Le vide chantait dans nos bourses, 8
Ainsi le vent dans les roseaux — 8
Mais semblables à des oiseaux, 8
Nous buvions à même les sources. 8
45 Et bien moins frileux que des loups. 8
Nous nous moquions de la froidure. 8
Et si la bidoche était dure, 8
Nos dents étaient comme des clous. 8
Et les belles nuits que nous eûmes, 8
50 Nuits plus suaves que Je miel, 8
Avec pour ciel de lit le Ciel, 8
Et la mousse pour lit de plumes ! 8
***
Aujourd’hui, ce n’est plus cela ; 8
Et je t’entends parler sans cesse, 8
55 Tantôt, de robes de princesse, 8
Tantôt de festins de gala. 8
Va, tu me plais mieux toute nue, 8
Et riche de tes seuls attraits. 8
Si tu te parais, je dirais : 8
60 Quelle est cette belle inconnue ? 8
Tu veux de l’or ! toujours, encor… 8
Hé ! crois-tu donc que j’en fabrique 8
Avec du flan ou de la brique, 8
De l’or ? de ton n… de D…nom de Dieu d’or ?… 8
65 Il n’en est plus qu’en Amérique. 8
De l’or ! Sache aussi, mes amours, 8
Que vouloir manger tous les jours 8
Est un pur préjugé gothique. 8
Tu vas me raser jusqu’à quand 8
70 De ton ignoble convoitise ? 8
Et puis… veux-tu que je te dise ? 8
Te retiens-je moi ? Fous le camp ! 8
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