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Ces jours-ci je hélai dans la rue un cocher. |
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Elle était fort jolie, à ne vous rien cacher. |
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— Rassurez-vous, lecteur, et vous de même, chère |
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Lectrice, ce cocher était une cochère. |
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« Où nous allons, patron ? » demanda-t-elle. Et moi, |
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J’eus envie, un instant, de répondre : « Chez toi ». |
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Et puis, je me retins. « Où vous voudrez, » lui dis-je. |
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« All right ! » Je montai donc près de ma callipyge, |
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Sur le siège, avec son consentement muet. |
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Cocotte s’activa sous un bon coup de fouet ; |
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Et nous voilà partis. Alors, nous devisâmes, |
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L’Automédone et moi, tout comme deux sœurs âmes, |
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Ou mieux je la laissai parler, me tenant coi. |
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Elle me raconta, tout d’abord, comme quoi |
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Elle fut, tout enfant, au barreau destinée |
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Par son père, dont elle était la fille aînée. |
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Elle avait donc pris trois ou quatre inscriptions, |
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Pour lui faire plaisir. Mais sa vocation |
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L’appelait à conduire un char dans la carrière, |
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Ç’avait toujours été son désir de derrière |
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La tête. Et maintenant, que son père gisait |
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Cimetière Montmartre, elle réalisait |
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Son rêve. Et comme il n’est ni carrière ni char, |
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De nos jours, elle avait pris un fiacre… à l’instar… |
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Elle me dit encor son pauvre cœur de femme, |
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Déçu depuis longtemps par l’homme atroce, infâme. |
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Maintenant, elle était bien décidée aussi |
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À faire abstraction de nous, « Ah ! bien merci ! » |
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Elle en avait soupé des hommes… zut et crotte ! |
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Elle n’en voulait plus rien savoir. « Hue, cocotte ! » |
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Et Cocotte trottait d’un trot bien peu normal, |
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Ma cochère, d’ailleurs, conduisant assez mal. |
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Et cela nous valut mille et une aventures. |
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Nous causâmes plus d’un embarras de voitures. |
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Parfois même on nous vit « rouler » sur le trottoir, |
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Et ce qu’on nous cueillait alors, il fallait voir ! |
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Quant à moi, maint propos blessant à mon adresse |
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Ne m’épouvantait pas, étant « à la redresse ». |
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C’est pour elle surtout que cela m’embêtait. |
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La foule, connaissant que mon cocher était |
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Une femme, allait s’acharnant sur la mignonne. |
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Et, comme vous pensez, l’appelait Collignonne. |
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J’avais bien tort de me frapper, car peu à peu, |
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Je la vis mieux conduire et se piquer au jeu ; |
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La fonction créant l’organe. À cette foule |
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Elle sut démontrer qu’elle était « à la coule ». |
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Et nous roulions toujours. Tout à coup, elle dit : |
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« Je m’en vais relayer, patron. Il est midi. |
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J’ai faim, Cocotte aussi. — Bon. Qu’à cela ne tienne. |
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Nous allons déjeuner ensemble… eh ! oui, pardienne ! |
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Je n’ai pas terminé mes courses, tant s’en faut, |
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Je connais un endroit superbe et sans défaut ; |
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En plein Paris on se croirait à la campagne. |
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Et Cocotte aura sa bouteille de Champagne… |
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« Ça va-t-il ? — Oui ça va ». |
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