LA MUSE AU CABARET |
LE PAPE DOIT MANGER SEUL |
À Georges Auriol.
Le Protocole du Vatican veut que
le Pape prenne ses repas tout seul.
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Manger seul ! Quelle horreur ! Prendre sa nourriture |
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Sans avoir devant soi la moindre créature, |
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Sous prétexte que c’est l’usage au Vatican ! |
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L’usage… mais l’usage à la mode de quand ? |
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Ce n’est pas, sapristi ! la peine d’être pape, |
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Si l’on ne peut donner à l’usage une tape. |
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L’usage n’était pas d’ailleurs pour Borgia, |
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Car ce n’est pas tout seul que ce birbe orgia. |
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Voire, sans remonter aussi haut dans l’Histoire, |
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Pio Nono meublait-il seul son réfectoire ? |
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Allons donc ! Si cet us a sévi dans les temps, |
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Il fut assurément des plus intermittents. |
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J’admets qu’on aille seul aux cabinets d’aisance, |
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Que l’on fasse tout seul des heures de potence, |
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Que l’on commette un crime… une bonne action… |
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Tout seul. Mais manger seul, quelle aberration ! |
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Voilà qui me renverse et qui me déconcerte. |
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Encor s’il était seul dans une île déserte !… |
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Mais non. Il a parents, amis et familiers. |
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Les gens du Vatican se comptent par milliers. |
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Qu’il n’éprouve pour eux que des ardeurs peu vives, |
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Ce n’en est pas moins là de tout trouvés convives. |
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Manger seul — voyez-vous — me semble aussi pervers |
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Que d’aller voir tout seul les feuilles à l’envers. |
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Puis, quand on mange seul, sait-on ce que l’on mange ? |
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Si c’est de l’ambroisie ou quelque affreux mélange ! |
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Que dis-je ? Mange-t-on ? On bouffe, on se nourrit… |
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Le corps peut y trouver son compte, non l’esprit. |
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On me dit que ce pape a l’estomac en loque, |
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Et qu’il fait son repas de deux œufs à la coque. |
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C’est possible, après tout. Je n’en veux discuter. |
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Mais il pourrait toujours des amis inviter. |
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Leur dire : « Mes enfants, sans appétit moi-même. |
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Je ne vous contrains pas à faire le carême… |
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Mangez, buvez, voilà des poulets, des gigots… |
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Tapez éperdument dessus ces haricots. |
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Et puis, voici du vin qu’il faut mettre à l’étude ; |
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Il fut trente-cinq ans captif comme Latude. » |
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Rien ne vous donne faim comme de voir manger. |
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Enfin… n’est-ce donc rien, le plaisir d’héberger ? |
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De même, ce Léon, guetté par le conclave, |
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Boit également seul les bons vins de sa cave. |
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Il a là, devant lui, deux verres, qui sait, trois ? |
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Sans doute il fait sur eux le signe de la croix, |
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Ainsi qu’il ferait sur quelque rouge éminence, |
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Et dit, selon leur plus ou moins de contenance : |
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« L’un est pour mon Falerne, et l’autre, mon Chianti, |
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Et le troisième pour mon Lacryma-Christi. » |
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Comme il est évident qu’il en boit peu de chaque, |
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Pourquoi n’en faire pas profiter Pierre ou Jacque ? |
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J’y pense tout à coup : Ce pontife absolu |
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Ne connaît pas son texte ou bien il l’a mal lu. |
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Le Seigneur n’a-t-il pas prescrit à ses apôtres : |
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Messieurs, vous mangerez les uns avec les autres. |
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Væ soli ! Malheur à celui qui mange seul ; |
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Il vaudrait mieux pour lui qu’il fût dans un linceul. |
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Voilà ce qu’il a dit, le Seigneur. C’est notoire. |
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Ce qui prouve, de sorte aiguë et péremptoire, |
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Et dussiez-vous trouver mon propos hasardeux, |
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Que pour manger tout seul, il faut être au moins deux. |
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