Métrique en Ligne
PON_1/PON38
Raoul PONCHON
La muse au cabaret
1920
LA MUSE AU CABARET
ALLIANCE FRANCO-RUSSE
À Paul Verola
Étant à la table d’hôte 7
D’un hôtel très fréquenté 7
Sur je ne sais quelle côte 7
Où l’on se baigne l’été, 7
5 Ma surprise fut extrême 7
Quand, tout de suite, je vis 7
Que beaucoup mieux que moi même 7
Mes voisins étaient servis. 7
Un sinistre majordome 7
10 Leur passait les fins morceaux, 7
Tandis que ce diable d’homme 7
Me refilait tous les os. 7
Si j’attrapais quelque miette, 7
Ce n’est qu’en catimini. 7
15 Mais il prenait mon assiette, 7
Avant que j’eusse fini. 7
Je pensais : c’est un usage 7
Qui ne m’était pas connu, 7
De faire mauvais visage 7
20 Au dernier client venu. 7
On veut peut-être, ô mystère ! 7
Devant que de l’accueillir, 7
Lui tâter le caractère, 7
Le laisser un peu vieillir. 7
25 Je n’y prêtai, je dois dire, 7
Davantage attention, 7
Étant plus enclin à rire, 7
En pareille occasion. 7
Plus tard, quand je dus inscrire, 7
30 Au livre des voyageurs, 7
Mon nom de très pauvre sire, 7
Je demeurai tout songeur : 7
Avec une véritable 7
Stupéfaction j’appris 7
35 Que tous mes voisins de table 7
Étaient des clients — de prix, 7
Des seigneurs considérables, 7
Des dames du plus haut rang, 7
Pour lesquels sont misérables 7
40 Deux cent mille francs par an. 7
Fallait, pour que je le crusse, 7
Que je le lusse, vraiment, 7
Et tout ce monde était Russe, 7
Comme on ne l’est seulement 7
45 Qu’en France. Et tous étaient princes, 7
Pour le moins, nés Troubetzkoï, 7
Et possédant des provinces. 7
Tous ! jusques au moindre « boy ». 7
Ma foi ! qu’à cela ne tienne. 7
50 Que s’il faut pour vivre ici 7
Être un Troubetzkoï, pardienne ! 7
Troubetzkoïsons-nous y. 7
Et sur le susdit registre, 7
Sans hésiter, sans émoi, 7
55 À mon nom si terne et bistre 7
J’ajoutai : né Troubetzkoi. 7
De ce jour, à table d’hôte, 7
On fut plein d’égards pour moi, 7
Puisque j’étais de la côte 7
60 De l’illustre Troubetzkoi. 7
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