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POL_1/POL8
Jean POLONIUS
Poésies
1827
RETOUR
C’est assez, loin de ta présence 8
M’exiler, sans pouvoir te fuir ; 8
Je suis las d’une indifférence 8
Que j’affecte ; sans la sentir. 8
5 Comme à son nid l’oiseau sauvage, 8
Comme la vague à son rivage, 8
Comme le cerf au bord des eaux, 8
À tes pieds ramené sans cesse, 8
J’y viens encor, dans ma faiblesse, 8
10 Chercher l’amour au prix des maux. 8
J’ai voulu te cacher ma peine ; 8
Mais tu lis trop bien dans mon cœur ; 8
Tu sais trop que ma gaieté vaine 8
N’est qu’une flamme sans chaleur. 8
15 Le désespoir a beau sourire, 8
Sa gaieté ressemble au délire, 8
Son calme au calme du tombeau ; 8
Dans ses fers il s’agite, il chante ; 8
Mais les sons que sa bouche enfante 8
20 En son âme n’ont pas d’écho. 8
J’ai cherché le bruit, la poussière, 8
Les jeux, l’air brûlant du plaisir ; 8
Mais cette fièvre passagère 8
M’a fatigué, sans me guérir. 8
25 L’éclat du jour, le bruit du monde, 8
Peut de mon âme vagabonde 8
Éloigner un moment tes traits ; 8
Mais sitôt que le jour s’achève, 8
Comme une étoile qui se lève, 8
30 Avec la nuit tu reparais. 8
Planant dans l’ombra sur ma couche, 8
Un rêve à moi t’offre soudain ; 8
Ma bouche en feu presse ta bouche, 8
Mon sein brûlant bat sur ton sein ; 8
35 Nos vœux, nos soupirs se répondent, 8
Nos doux haleines se confondent, 8
Je suis, je presse le bonheur, 8
J’y touche enfin ! — Trompeuse image ! 8
C’est l’air, le vide, un froid nuage 8
40 Que j’ai serre contre mon cœur ! 8
Las du bruit de la multitude, 8
J’ai fui les hommes et le jour ; 8
Mais il n’est point de solitude 8
Pour celui qu’a blessé l’amour. 8
45 Dans le désert, dans le silence, 8
Il est pour lui, malgré l’absence, 8
Un son de voix persécuteur, 8
Un œil brillant, que rien n’efface, 8
Une ombre, qui toujours se place 8
50 Entre la nature et son cœur. 8
Hélas ! plus digne de l’entendre, 8
Jadis j’avais su l’adorer ; 8
J’avais un cœur pour la comprendre, 8
J’avais des yeux pour l’admirer. 8
55 Seule, elle était toute mon âme ; 8
Nul autre objet, nulle autre femme 8
N’allumait encor mes fureurs ; 8
J’aimais des sons et des images, 8
Le vent, les rochers, les nuages, 8
60 Les eaux, la lumière, et les fleurs. 8
Aujourd’hui, sourde à la nature, 8
Mon âme est comme un luth brisé : 8
Arbres, soleil, rochers, verdure, 8
Tout à mes yeux s’est effacé. 8
65 Que l’air soit sombre, ou sans nuage, 8
Pour moi, prive de son langage, 8
Le ciel n’est plus qu’un livre obscur, 8
Tout est vide et monotonie, 8
Les vents n’ont plus de mélodie, 8
70 Les flots ne roulent plus d’azur. 8
J’ai vu des femmes, dont ma lyre 8
Avait su captiver le cœur ; 8
J’ai vu des yeux, dont le sourire 8
Semblait m’inviter au bonheur. 8
75 Mais, dédaigneux de sa conquête, 8
J’ai passé, sans lever la tête 8
Vers l’étoile qui m’avait lui ; 8
Astre éphémère, de sa flamme 8
Il n’a fait qu’effleurer mon âme, 8
80 Et n’a laissé qu’ombre après lui. 8
Enfant volontaire et bizarre, 8
Au bien présent fermant les yeux, 8
C’est quand l’abîme nous sépare, 8
Que je l’appelle de mes vœux. 8
85 Des fleurs qui croissent dans la plaine 8
Vainement l’amoureuse haleine 8
M’invite à les venir chercher ; 8
Je fuis, je cours, dans mes caprices, 8
Poursuivre au bord des précipices 8
90 La fleur sauvage du rocher. 8
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