Métrique en Ligne
POL_1/POL3
Jean POLONIUS
Poésies
1827
CRAINTES ET VŒUX
Who would check the happy feeling
That inspire the linnet’s song ?
Rho would stop the swallow, wheeling
On her pinions swift and strong ?
Wordsworth, .
Tu fuis mes pas, beauté légère ! 8
Inhabile à te retenir, 8
Dans le tumulte du plaisir 8
Ma voix, expire solitaire. 8
5 Comme l’enfant, dans son ardeur, 8
Échappé des bras de sa mère, 8
Se jette au-devant de la fleur 8
Que lui présente une étrangère, 8
Ainsi, t’élançant loin de moi 8
10 Sur les ailes de l’espérance, 8
Tu tends les bras à l’existence, 8
Qui s’ouvre immense devant toi. 8
Un jour viendra, que de ce monde, 8
Aujourd’hui si paré d’attraits, 8
15 Ton œil tremblant verra de près 8
Tous les écueils cachés sous l’onde. 8
Tu sauras ce qu’il faut penser 8
De ces hommes vains et frivoles, 8
De ces femmes, dont les paroles 8
20 Vont te séduire et l’abuser. 8
Tu sauras que ce sexe aimable, 8
Pour nous si doux, si généreux, 8
Envers lui-même impitoyable, 8
Poursuit d’une haine implacable 8
25 La beauté qu’admirent nos yeux ; 8
Que l’amitié, dans une femme, 8
Toujours sœur de la vanité, 8
Vain météore, éclair sans flamme, 8
Meurt où naît la rivalité. 8
30 Tu connaîtras cet art suprême 8
De déguiser tout ce qu’on est ; 8
De sembler fuir ceux que l’on aime, 8
Et de sourire à ceux qu’on hait ; 8
Ces demi-mots, ce froid silence, 8
35 Ces regards faux ou détournés, 8
Ces gestes seuls, dont l’éloquence 8
Vaut mille traits empoisonnés ; 8
Ce fiel brûlant de l’ironie, 8
Qui des prestiges de la vie 8
40 Aime à sécher toutes les fleurs, 8
Et la haine, et la jalousie, 8
Et les dédains, et les aigreurs, 8
Et cette aride indifférence, 8
Qui passe, et laisse l’innocence 8
45 Sous les pieds de ses oppresseurs !… 8
Mais pourquoi d’un présage sombre 8
Effrayer ton cœur enfantin ? 8
Que sert-il de voiler d’une ombre 8
Le beau soleil de ton matin ? 8
50 Qui voudrait troubler l’hirondelle, 8
Quand, rasant l’écume des eaux, 8
Sur le lac, à l’aube nouvelle, 8
Elle joue, en battant de l’aile, 8
Avec les rayons et les flots ? 8
55 Jouis, jouis dans l’ignorance, 8
D’une erreur qui va s’envoler ; 8
Ris à ce monde qui t’encense ; 8
La rose est faite pour briller. 8
Ah ! puisses-tu ne pas, comme elle, 8
60 Quand du roc qui la vit fleurir 8
Une main avide et cruelle 8
Vient l’arracher et la flétrir, 8
Dire un jour avec un soupir : 8
«Malheur, malheur à qui naît belle !» 8
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