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Jean POLONIUS
Poésies
1827
LE SOLEIL D’AUTOMNE
Quand l’automne est presque finie, 8
Et que tout semble dans les vents 8
Annoncer les derniers moments 8
De la nature à l’agonie, 8
5 Souvent un beau soleil d’été 8
Se lève sur les paysages, 8
Et vient visiter les bocages 8
Qu’il dédaigna dans leur beauté. 8
Mais les bois ont perdu leurs teintes ; 8
10 Mais les oiseaux sont envolés ; 8
Tous les parfums sont exhalés, 8
Toutes les voix se sont éteintes. 8
Ce lac, aux bords délicieux, 8
A l’onde autrefois si limpide, 8
15 Aujourd’hui jaunâtre et fangeux 8
Ne roule plus qu’une eau fétide. 8
Ce tronc, qui fut jadis ormeau, 8
N’a gardé qu’une feuille morte, 8
Qui seule attend sur son rameau 8
20 Que le vent se lève et l’emporte. 8
C’en est fait : le divin rayon 8
A trop tard commencé de luire ; 8
Il ne reste pas un gazon, 8
Pas une fleur pour lui sourire. 8
25 Ainsi, quand j’aurai vu pâlir 8
De mes ans la fleur printanière, 8
Lorsque dans la nature entière 8
Tout me dira qu’il faut mourir, 8
Peut-être alors à ma vieillesse 8
30 Le sort offrira-t-il enfin 8
L’être charmant que ma jeunesse 8
Aura cherché longtemps en vain. 8
Mais sur les roses de ma vie 8
Le vent d’automne aura passé ; 8
35 Ma tête, hélas ! sera blanchie, 8
Mon œil éteint, mon sang glacé. 8
Feuille vieillie et languissante, 8
Que m’importe qu’enfin l’amour 8
De sa lumière consolante 8
40 Vienne éclairer mon dernier jour ? 8
Aux rameaux de l’arbre de vie 8
A peine un fil me retiendra, 8
Et le soleil ne brillera 8
Que pour me voir tomber flétrie. 8
45 Je mourrai sans avoir vécu, 8
Mélancolique et solitaire, 8
Sans que pour moi, sur cette terre, 8
Un seul cœur ait jamais battu. 8
Je mourrai, mais trop tard encore ; 8
50 Car, avant de fermer les yeux, 8
J’aurai pu d’un sort plus heureux 8
Entrevoir un moment l’aurore. 8
Un autre, hélas ! héritera 8
De ce bien, trop tardif à naître ; 8
55 Un autre à mes vœux ravira 8
Celle qui m’eût aimé peut-être. 8
Et moi, silencieux témoin, 8
L’œil morne et chargé de tristesse, 8
Je les verrai passer de loin 8
60 Brillants d’amour et de jeunesse. 8
Je verrai de ce couple heureux 8
Le souffle dans l’air se confondre, 8
Les yeux interroger les yeux, 8
Les regards aux regards répondre. 8
65 Hélas ! je ne gémirai pas 8
De la perte de tant de charmes ; 8
Je ne verserai pas de larmes ; 8
Car, qui me plaindrait ici-bas ? 8
Mais je détournerai la tête 8
70 De ce spectacle de bonheur ; 8
Et si de ma douleur muette 8
L’excès n’a pas brisé mon cœur, 8
Dieu seul et moi pourrons connaître 8
Ce que pèse un dernier soupir 8
75 Qu’exhale encore le Désir, 8
Quand l’Espérance a cessé d’être. 8
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