Métrique en Ligne
PDE_1/PDE8
corpus Pamela Puntel
Joseph POISLE-DESGRANGES
PENDANT L’ORAGE
POÈMES NATIONAUX ET HISTORIQUES
1871
PARIS PRUSSIEN
HOMMAGE A L’AMIRAL SAISSET
Paris, tu fus longtemps ma vie et mon idole, 12
Et ce qu’on aime bien, rarement on l’immole : 12
Je naquis dans ton sein, tu fus mon doux berceau ; 12
Ton ciel, à mes yeux bleus, paraissait toujours beau !… 12
5 Par la paix couronnés, les arts vivaient en frères ; 12
Les champs étaient féconds et nos moissons prospères ; 12
Tout ce qui t’entourait, Paris, me semblait grand, 12
Tout jusqu’aux peupliers !… J’étais alors enfant… 12
Des oiseaux j’écoutais la voix harmonieuse, 12
10 Et leurs tendres accords rendaient mon âme heureuse ; 12
J’aimais à voir fleurir en mai le frais lilas ; 12
J’aimais le cep de vigne et son rude échalas ; 12
J’aimais les bois, les près, Romainville, Vincenne, 12
Pantin et Bagnolet, les coteaux et la Seine. 12
15 J’aimais à voir dès l’aube une abeille au lointain, 12
Puis à dormir le soir en songeant au matin. 12
Mon rêve n’était pas celui que font les hommes : 12
Aux enfants je disais : « Restons ce que nous sommes ; 12
N’avançons pas trop tôt dans le champ des douleurs ; 12
20 Parcourons les sentiers où l’on cueille les fleurs ; 12
Gardons nos rêves d’or, de joie et d’innocence ; 12
Car les pus beaux sont ceux que Dieu donne à l’enfance… » 12
Mais dans la vie, hélas ! tout change avec les ans : 12
Les hivers ne sont point semblables aux printemps. 12
25 La paix régnait hier… Aujourd’hui c’est la guerre ; 12
Les arbres sont gisants sur des buttes de terre. 12
On rase les maisons… Du bruit de toutes parts… 12
Des fusils dans Paris… Des canons aux remparts… 12
Les hommes sont armés comme en quatre-vingt-treize ; 12
30 Le tambour bat… On chante en chœur La Marseillaise… 12
Que s’est-il donc passé ? — Des désastres affreux ! 12
Sedan a vu péris nos soldats valeureux. 12
Des chefs, des insensés, des commandants de paille 12
N’ont pas su se tenir sur le champ de bataille ; 12
35 Ces héros de carton, dressés pour le coup d’œil, 12
En songeant aux plaisirs ont fait nos jours de deuil. 12
Il leur manquait là-bas les buffets de l’Empire, 12
Des tapis sous les pieds et des bâtons de cire 12
Pour donner à leur barbe un air toujours moqueur ; 12
40 Et la carte tomba sur ces valets de cœur 12
Pour mieux cacher leurs noms… Mais attendons l’histoire, 12
Elle rétablira tous leurs hauts faits de gloire ; 12
De même qu’il faudra pour notre déshonneur, 12
En parlant de Sedan, parler de l’empereur 12
45 Qui, s’avouant vaincu, déposa son épée 12
Aux genoux de Guillaume !… Oh ! l’horrible épopée ! 12
Les malheurs de Sedan, nos victimes, leurs cris, 12
Il n’en fallait pas plus pour émouvoir Paris : 12
« Les Prussiens !… les Prussiens viennent chez nous s’ébattre. » 12
50 La défense donna pour mot d’ordre : Combattre ! 12
Et l’on vit de tous points surgir des combattants : 12
Les jeunes et les vieux, chacun avait vingt ans. 12
L’uniforme effaça du temps plus d’un outrage, 12
Et pas un citoyen ne manqua de courage. 12
55 On montait aux remparts, on veillait aux bastions, 12
Sans se plaindre du froid ni des privations. 12
De l’homme à cheveu blancs j’aimais l’ardeur virile ; 12
C’était l’un des sauveurs de notre bonne ville ; 12
Il disait : « Nous vaincrons ; car Paris se défend !… » 12
60 Et de joie il pleurait comme eût pleuré l’enfant… 12
Et moi poète aussi j’essuyais quelques larmes 12
En pensant à l’honneur abrité sous nos armes. 12
Je m’écriais : « Paris, recevoir les Prussiens !… 12
Oui !… Pour les écraser !… Guillaume, avec les tiens, 12
65 Rentre donc à Berlin ; laisse Paris tranquille ; 12
Il ne se rendra point !… Mourir est plus facile ! 12
Et le peuple, en effet, plein de calme et d’espoir, 12
Tout en chantant cassa son morceau de pain noir : 12
Du pain si laid, si dur, que c’était la muraille 12
70 De riz, de son, d’avoine et d’ordure et de paille. 12
Il était si compact qu’on eût pu, sous son poids, 12
Écraser d’un seul coup Guillaume et tous les rois !… 12
Puis en temps de disette, où le trafic s’exerce, 12
Il s’établit toujours plus d’un honteux commerce. 12
75 Au riche les poulets, le lard et les jambons, 12
Au pauvre l’abstinence et les mets les moins bons ; 12
Heureux s’il peut trouver, sans aller à la halle, 12
Dans la rue, en plein vent, où le marchand s’installe, 12
Une crêpe, un beignet dressés sur un vieux plat, 12
80 Du café brun sans sucre ou du faux chocolat. 12
Mon Dieu ! qu’il vécut mal pendant l’état de siège ! 12
Le marchand vivait seul de l’ancien privilège : 12
Il vendait à prix d’or ne livrant presque rien ; 12
Car une tête d’ail était parfois son bien. 12
85 Certains jours il offrait du thym, de l’échalotte, 12
La moitié d’un poireau, des fragments de carotte, 12
Du suif mal épuré, du beurre végétal, 12
Des pieds gélatineux, du boudin de cheval, 12
De la chair à pâté qui sentait la friture, 12
90 Et de la colle forte au lieu de confiture. 12
Il faut bien l’avouer, on falsifia tout ; 12
Mais la faim s’énonçant fait taire le dégoût ; 12
L’estomac qui résiste un peu plus tard lui cède ; 12
Manger est un besoin, l’esprit lui vient en aide ; 12
95 Et le peuple disait : « Mangeons du chat, du chien ; 12
Souffrons !… Mais que Paris ne soit jamais prussien !… » 12
Paris tient bon ! Paris a droit à nos hommages ; 12
Car les obus prussiens lui causaient des ravages : 12
Le canon Krupp, placé sur la hauteur des monts, 12
100 En battant nos quartiers, atteignait nos maisons. 12
Il semblait s’attaquer aux plus beaux édifices : 12
Comme un démon, la nuit, jetant ses maléfices, 12
Il effondrait un toit… Là dormaient des enfants, 12
Et la mort les surprit entre leurs deux draps blancs !… 12
105 Les malheureux blessés, au sein du Val-de-Grâce, 12
Les vieillards dans leur lit n’obtinrent pas leur grâce ; 12
L’ennemi, pour mieux voir où portait son canon, 12
Insulta notre gloire au front du Panthéon ! 12
Sur Vanves, l’Odéon et sur Paris-Montrouge, 12
110 On eût dit qu’il voulait tirer à boulet rouge. 12
Il n’en fut rien pourtant, que ses feux soient bénis ; 12
Car il se contenta de brûler Saint-Denis !… 12
Dans la lutte Paris mettait son espérance : 12
C’était l’unique objet qui calmât sa souffrance ; 12
115 Mais la captivité pour le peuple est l’enfer : 12
« Brisons, s’écriait-il, notre cercle de fer ! 12
Marchons sur les Prussiens !… Voyons-les donc en face ! 12
De Paris sortons tous !… Il faut sortir en masse ; 12
Nos Français sont en route et nous tendent la main ! » 12
120 On sortit… Mais, hélas ! on fit peu de chemin, 12
Quand on pouvait tout droit s’en aller à Versaille, 12
Et chez soi l’on rentra le jour de la bataille… 12
Qui donc nous a trahis ? Est-ce toi qui cédas, 12
Peuple ? Non, tu disais : « Restons toujours soldats !… » 12
125 Tes chefs ont-ils tremblé ?… Grand Dieu ! quelle injustice ! 12
Sans consulter Paris on conclut… l’armistice !… 12
Et pour Paris ce fut un nouveau déshonneur ! 12
Nos guerrier stupéfaits exprimaient leur douleur : 12
« Paris ! plier au vent comme un chétif brin d’herbe ! 12
130 Amiens se défendit, commandé par Faidherbe ; 12
On nous désarme, hélas ! pour nous livrer à qui ? 12
Ah ! que n’avons-nous eu pour chef un Bourbaki !… » 12
Un zouave ajoutait : « Manquions-nous donc de vivres ? 12
On mange du rat mort ou la peau des vieux livres, 12
135 Mais on ne se rend pas !… » — Les Prussiens ont nos forts ! » 12
S’écriaient les marins : ils ont tout sans efforts ; 12
Avons-nous un seul jour faibli par le courage ? 12
Le travailleur jamais ne déserte l’ouvrage ; 12
avons-nous un instant dormi près du canon ? 12
140 L’amiral1 manquait-il de cœur ? Mille fois non ! 12
Pourquoi donc arrêter nos bras et nos services, 12
Nous qui pouvons montrer de nobles cicatrices ? 12
Nous qui savons mourir !… Nous qui bravions les mers !… » 12
Et les pauvres marins versaient des pleurs amers… 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
145 Enfin !… Signons la paix, si la paix est légale. 12
Les Prussiens, comme un flot, comme au port la rafale, 12
Viendront-ils dans Paris se heurter à l’écueil ? 12
Ah ! que chacun de nous s’enferme en un cercueil ! 12
Mettons à notre porte une tenture noire ; 12
150 Le deuil encadrera ce feuillet de l’histoire ; 12
Les vainqueurs auraient dû par nous être vaincus. 12
Les Germains orgueilleux en sont-ils convaincus ? 12
J’en doute, et je les vois qui portent haut la tête ; 12
Ils font de la musique… Et des gens leur font fête !… 12
155 Ah ! s’il en est ainsi, vantez leurs fiers succès ; 12
Que Paris soit Prussien !… Je resterai Français ! 12
L’honorable M. Saisset, commandant les forts de l’Est, et dont le fils est mort bravement devant l’ennemi.
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