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Évariste de PARNY
Œuvres complètes
tome I
1775-1806
MÉLANGES
A M. DE P… DU S…
Tu dis bien vrai, Du S…ı, quand une heureuse aubaine 12
De nos pères joyeux couronna les ébats, 12
Ils faisaient deux amis et ne s'en doutaient pas. 12
Le même astre a réglé ta naissance et la mienne. 12
5 Nous reçûmes le jour dans ces climats brûlans 12
Où deux fois le soleil repassant sur nos têtes 12
Féconde la nature, et fixe dans nos champs 12
Ce printemps éternel chanté par les poètes. 12
Là, comme on fait ailleurs, je végétai neuf ans. 12
10 Qu'on chante si l'on veut les beaux jours de l'enfance ; 12
Je n'en regrette aucun ; cette aimable ignorance 12
Est un bonheur bien fade aux yeux de la raison ; 12
Et la saison de l'innocence 8
Est une assez triste saison. 8
15 Transplantés tous les deux sur le bord de la France, 12
Le hasard nous unit dans un de ces cachots 12
Ou, la férule en main, des enfileurs de mots 12
Nous montrent comme on parle, et jamais comme on pense. 12
Arbrisseaux étrangers, peu connus dans ces lieux, 12
20 S'il nous fallut souffrir la commune culture, 12
Des mains qui nous soignaient les secours dangereux 12
N'ont pu gâter en nous ce que fit la nature. 12
A peine délivrés de la docte prison, 12
L'honneur nous fit ramper sous le dieu des batailles, 12
25 Tu volas aussitôt aux murs de Besançon ; 12
Un destin moins heureux me poussa dans Versailles. 12
Réunis sur les flots, nous bénissons le sort ; 12
Mais il nous attendait aux rivages d'Afrique. 12
Sans doute il le souvient de celte nuit critique 12
30 Où nous allions passer du sommeil à la mort ? 12
Un soldat qui fumait nous retint à la vie. 12
Nous étions réservés à des dangers nouveaux. 12
J'entends encoreencor d'ici les rochers àd' Abrolhos 12
Retentir sous les coups des vagues en furie ; 12
35 Je vois notre, vaisseau, dans un calme trompeur, 12
Céder au courant qui l'entraîne ; 8
Je vois régner partout une morne frayeur, 12
Je lis dans tous les yeux que ma perte est certaine, 12
Je revois le trépas et toute son horreur. 12
40 O toi, de mes pensers dépositaire utile, 12
Toi, qui connais mon cœur, tu sais s'il fut ému. 12
Voyant tout, mais d'un œil tranquille, 8
J'écrivais, presque sûr de n'être jamais lu. 12
Te souvient-il encor de l'homme aux quatre tentes, 12
45 De ce couvent peuplé d'Ursulines galantes, 12
Des maris portugais, de dona Theresa, 12
Belle comme l'Amour, plus friponne peut-être, 12
Infidèle d'avance à l'époux qu'elle aura, 12
Et nous jetant le soir des fleurs par la fenêtre ? 12
50 Le port des Hollandais nous reçut à son tour. 12
Tu soupires sans doute, et ta bouche chrétienne 12
Nomme la tendre Bergh, jeune luthérienne, 12
Que ton zèle avait su convertir à l'Amour. 12
Nous arrivons enfin. Pardonne, ô ma patrie ! 12
55 Mais je ne connus point ce doux saisissement 12
Qu'on éprouve en te revoyant ; 8
Mon âme à ton aspect ne s'est pas attendrie. 12
La patrie est un mot, et le proverbe ment. 12
Toi seule, ô mon Éléonore, 8
60 As rendu ce jourséjour agréable à mes yeux. 12
Tendre et fidèle objet d'un amour malheureux, 12
Peut-être tu ressens des peines que j'ignore ; 12
Va, mon cœur les partage, et te rend tes soupirs. 12
En vain le sort jaloux termina nos plaisirs ; 12
65 De mon bonheur passé je suis heureux encore. 12
Enfin, après quatre ans d'inconstance et d'erreur, 12
Je te suis dans Paris. Là, maître de moi-même, 12
Sans désirs, sans amour, paresseux par système, 12
Sur la scène du monde assez mauvais acteur, 12
70 Je déchire mon rôle, et deviens spectateur. 12
Mon vaisseau, battu par l'orage, 8
A regagné le port, et n'en sortira plus. 12
Que dis-je, dès demain, ennuyé du rivage, 12
Peut-être irai-je encoreencor l'exposer au naufrage 12
75 Sur ces mêmes écueils qu'il n'a que trop connus. 12
C'est le travers de tous les hommes 8
De chercher le repos et de s'en dégoûter. 12
Ce bien si désiré n'est doux qu'à souhaiter. 12
Nous ne vivons point où nous sommes ; 8
80 L'esprit vole plus loin, il voit d'autres climats, 12
Il en fait la peinture à notre âme séduite, 12
Et ce qu'il embellit a toujours plus d'appas. 12
La peine est aux lieux qu'on habite, 8
Et le bonheur où l'on n'est pas. 8
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