Métrique en Ligne
NOU_5/NOU193
Germain NOUVEAU
COMPLÉMENTS
1872-1918
PREMIERS POÈMES
(1872-1879)
Hier, par une après-midi 8
Où le soleil regaillardi 8
Luisait dans un ciel attiédi, 8
Et dans la splendeur qu’il étale 8
5 Comme une ville orientale 8
Baignait la froide capitale ; 8
Comme j’errais, le nez au vent, 8
Dans la rue au tableau mouvant, 8
En flaneur naïf et savant, 8
10 Je vis sur l’asphalte élastique 8
D’un trottoir aristocratique 8
Une vivante et fantastique 8
Parisienne au pas léger, 8
Type dont rêve l’étranger ! 8
15 Femme qu’on ne peut, sans changer 8
Aussitôt sa route et la suivre, 8
Rencontrer, tant on devient ivre 8
La voyant se mouvoir et vivre ; 8
Tant à ses petits pieds vainqueurs, 8
20 Infatigables remorqueurs, 8
Elle sait attacher les cœurs ! 8
Mise, par ma foi ! comme en mise 8
De bal, aussi bien qu’en chemise, 8
Elle seule sait être mise, 8
25 Dans la foule, au milieu du bruit, 8
Sous la voilette où son œil luit, 8
Discernant très bien qui la suit, 8
Et sachant que d’elle on s’occupe, 8
Feignant de soulever sa jupe, 8
30 Un jeu dont on est toujours dupe ; 8
Avec un air fin et discret, 8
Dont Gavarni sut le secret, 8
Et des mouvements qu’on dirait, 8
À voir, avec le vol des manches, 8
35 Le tangage amoureux des hanches 8
Ravis aux goélettes blanches ; 8
Idéal qui passe, rêvé 8
Longtemps, qu’on croit enfin trouvé, 8
Enchanteresse du pavé ! 8
40 Dans la soie et dans la dentelle 8
Elle allait et, se hâtait-elle, 8
Qu’on se demandait : où va-t-elle ? 8
Quel est son but et son dessein ? 8
Dans l’éblouissant magasin 8
45 Où l’étoffe au riche dessin 8
Dans mille glaces se reflète, 8
Irait-elle, pour sa toilette, 8
Faire quelque importante emplette ; 8
Ou bien, afin de se cacher 8
50 D’un mari qui peut la chercher, 8
Disant « au galop » au cocher, 8
Se jeter dans une voiture, 8
Et partir, folle créature, 8
Pour une galante aventure ; 8
55 Ou bien encore, dans un lieu 8
Triste et nu, sans lampe ni feu, 8
Où la faim tend les bras vers Dieu, 8
Porter le seul pain qu’on y mange ? 8
Car, on le sait, cet être étrange, 8
60 S’il n’est un démon est un ange. 8
Peut-être aussi par ce soleil 8
Sorti souriant et vermeil 8
Des froides brumes du sommeil, 8
Ne veut-elle parmi les brises, 8
65 Hors du foyer aux ombres grises 8
Et les rayons — douces surprises — 8
Que se promener simplement. 8
Tout à coup, je ne sais comment 8
Et comme par enchantement, 8
70 Bien que des yeux je ne quittasse 8
Cette fée au pas plein de grâce, 8
Je perdis tout à fait sa trace ! 8
Le but qu’elle pouvait avoir 8
Était-ce Plaisir ou Devoir ? 8
75 Je ne devais pas le savoir. 8
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