Métrique en Ligne
NOU_2/NOU94
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
LA COUR
Je connais, Madame, un bonhomme 8
Qui serait bien mal à la Cour. 8
Je ne sais comment il se nomme, 8
Sa femme n’est pas laide, en somme, 8
5 Non…, elle est très digne d’amour. 8
Elle a de l’œil et de la taille, 8
Un petit soulier de satin. 8
C’est une blonde, toute en paille. 8
Mais, voyez, Madame, elle baille 8
10 Dès les onze heures du matin. 8
L’hiver, sa servante auprès d’elle, 8
Elle garde le coin du feu, 8
Demandant s’il vente ou s’il gèle ; 8
Quelquefois un bout de querelle 8
15 Avec son chéri, c’est fort peu. 8
Au mois de juin, pour la distraire, 8
Celui-ci la mène à la mer, 8
Mais son fauteuil est solitaire ; 8
Surtout, pas de célibataire ; 8
20 Car ces messieurs vous ont un air… 8
Les Français, coureurs d’aventures, 8
Les Gaulois aux propos soignés, 8
Les amis de toutes natures, 8
Et les cousins, même en peintures, 8
25 Sont soigneusement éloignés. 8
C’est pour des voisines posées, 8
Ou le regard des inconnus, 8
Que ses robes se sont usées ; 8
Pas de romans, ni de musée 8
30 Où l’on voit des hommes tout nus. 8
De loin en loin, les jours de foire, 8
Une soirée avec du thé, 8
Une valse en robe de moire, 8
Ou la loge perdue et noire, 8
35 D’un théâtre collet monté. 8
Lorsque par hasard, elle cause 8
Avec quelqu’un, c’est plus banal 8
Que le papillon et la rose, 8
C’est froid, c’est triste, quelque chose 8
40 Comme les murs d’un tribunal. 8
Pourtant, elle aimerait à rire, 8
À plaire, à plaisanter un brin, 8
Elle est française, c’est tout dire ; 8
Si son cœur a ce qu’il désire 8
45 Son âme, elle, a bien du chagrin. 8
Près de la porte de sa dame 8
Le Monsieur se tient de planton ; 8
Qu’en espère-t-il sur mon âme ? 8
A-t-il peur qu’on viole sa femme 8
50 Comme une poupée en carton ? 8
Saints du Ciel, venez à leur aide 8
Et qu’à l’heure où l’on fait l’amour, 8
Elle lui dise froide et raide : 8
Vois, ami, comme je suis laide, 8
55 Personne ne me fait la cour. 8
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