Métrique en Ligne
NOU_2/NOU82
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
TARTARIN
De Marseille, moi ? de Marseille ? 8
Tu veux que j’en sois, c’est trop fort ! 8
M’entends-tu dire qu’il « soleille » ? 8
Je ne suis pas né dans le Nord, 8
5 Je dois en convenir sans honte ; 8
Mais on peut venir du Midi, 8
En chair, en os, et même… en fonte, 8
Sans sortir de Lonchamps, pardi ! 8
Si j’en étais, m’en cacherais-je ? 8
10 Au contraire, j’en serais fier : 8
Il y tombe aussi de la neige, 8
Et comme au Havre… on a la mer. 8
Je ne vois pas la différence ; 8
Affaire de goût, de couleur. 8
15 Du reste, Marseille est en France, 8
Sur la carte, aussi bien qu’Harfleur… 8
Voyons ! qui ferait des manières 8
Pour en être s’il en était, 8
La ville n’est pas des dernières, 8
20 Foutre non ! car Elle existait 8
Déjà, depuis belle lurette, 8
Qu’on ne parlait pas de Paris, 8
Et qu’aucune autre n’était prête 8
À loger ça… de ses chéris ; 8
25 Oui, Marseille était grande fille, 8
Que toutes les autres, comprends, 8
Les moins gosses de la famille 8
N’avaient pas encor de parents. 8
Elle est antique !… oh ! mais !… pas vieille ; 8
30 C’est au contraire la cité 8
La plus jeune et la plus vermeille, 8
N’offensons pas la vérité. 8
Les femmes y sont !… Valentine, 8
Tu les aimerais, comme moi, 8
35 Si tu voyais la taille fine 8
De Valentine, comme Toi ; 8
C’est ma cousine… elle demeure 8
Ma foi ! par là, pas loin du port… 8
Ce que je sais, ou que je meure, 8
40 C’est qu’elle aussi l’a beau… le port ! 8
Toutes les autres sont comme elle, 8
Et sans titre, ou sur parchemin, 8
Des reines, jusqu’à la semelle, 8
Avec du poil… pas dans la main. 8
45 Après ça, vois comme nous sommes 8
Encore, en France, inconséquents : 8
On vient médire de leurs hommes ! 8
Serait-ce qu’ils sont tous marquants ? 8
Il se pourrait, car on les chine, 8
50 Tiens ! surtout de votre côté, 8
Où l’on dédaigne la sardine ; 8
Ah ! le hareng… a sa beauté ! 8
De temps en temps, on entend dire : 8
« Oh ! le Marseillais ! » Eh ! bien, quoi ? 8
55 Le Marseillais ! il aime à rire. 8
Prises-tu les gens tristes, toi ? 8
Il est brun, n’a pas les dents noires, 8
Il sait lire, écrire et compter ; 8
Il a toujours un tas d’histoires 8
60 Crevantes à vous raconter : 8
Poli, galant avec les femmes, 8
Il n’accepterait jamais rien 8
D’elles, que leurs baisers de flammes : 8
Il fait, ma foi ! bougrement bien ; 8
65 Qu’on le critique, il n’en a cure, 8
Pas plus que de savoir son nez 8
Au beau mitan de sa figure 8
Ou de ce que vous devinez ; 8
Il est propre, ses mains sont nettes, 8
70 Leur gant n’est pas mis à l’envers, 8
Et surtout, elles sont honnêtes. 8
Que voulez-vous de plus ? Des vers ? 8
Des vers qui ne soient pas des versse ? 8
Il peut vous en faire… en français… 8
75 Vous me jetez à la traverse 8
Qu’il est ?… Hâbleur ?… Ah ! oui, je sais, 8
Il se vante… d’être modeste, 8
Ça, c’est un tort… il ferait mieux 8
De se vanter de tout le reste, 8
80 Mais nul n’est parfait sous les cieux. 8
Ainsi, vous voyez bien, Madame, 8
Que si j’étais, comment ? encor ? 8
Moi, Marseillais ! mais sur mon âme. 8
Si je l’étais… j’aurais de l’or, 8
85 Je n’irais jamais qu’en voiture, 8
Avec un train à tout casser, 8
Tout serait en déconfiture 8
Partout où l’on me voit passer. 8
Je leur montrerais ce qu’on gagne 8
90 À nous Han-Mer-Dé… Troun-dé-l’ér ! 8
Puisque je suis de la campagne 8
Où l’on respire le bon air, 8
Donc, je ne suis pas de Marseille. 8
C’est vrai, que je suis né si près, 8
95 Que j’en ai l’accent dans l’oreille… 8
Oui, na, j’en suis… et puis après ? 8
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