Métrique en Ligne
NOU_2/NOU80
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
DAUPHIN
Madame, on dit que les bons comptes 8
Font les bons amis. Soit, comptons… 8
Comme dans les comptes des contes, 8
Par bœufs, par veaux et par moutons ; 8
5 Pris un jour une cigarette 8
De vous, dois : quatre-vingt-dix bœufs ; 8
À ton bouquet, une fleurette, 8
Peut-être une, peut-être deux, 8
Dois : quatre-vingts bœufs ; pour l’essence 8
10 Que ta lampe brûlait la nuit, 8
Mille moutons que je recense 8
Près du berger que son chien suit. 8
Pris à ta cuisine adorable 8
Un bout de pain, un doigt de vin, 8
15 Dois : une vache vénérable 8
Avec sa crèche de sapin. 8
Mangé sept de tes souveraines 8
Et célestes pommes au lard, 8
Dois : le taureau, roi des arènes, 8
20 Le plus férocement couillard. 8
Pour ton savon d’un blanc d’ivoire, 8
Je conviens qu’en l’usant, j’eus tort, 8
Dois : tous les veaux du champ de foire 8
Qui prononcent ME le plus fort. 8
25 Marché, la nuit, dans ta chaussure 8
Dont j’aplatissais le contour, 8
Dois : le prince de la luxure, 8
Le bouc le plus propre à l’amour. 8
Pour l’eau bue à ta cruche pleine, 8
30 La nuit, sur ton lit sans rideau, 8
Dois : le bélier avec sa laine 8
Le plus vigoureux buveur d’eau. 8
Pour le retour de tes semelles 8
Sur les trottoirs de ton quartier, 8
35 Dois : la chèvre dont les mamelles 8
Allaiteraient le monde entier ; 8
Pour ta clef tournant dans ta porte 8
Dois, avec les champs reverdis, 8
Tout agneau que la brebis porte, 8
40 Sans compter ceux du paradis. 8
Constatez mon exactitude, 8
Voyez si j’ai fait quelque erreur, 8
Quand on n’a guère d’habitude, 8
On ne compte pas sans terreur. 8
45 Hélas ! oui, sans terreur, madame, 8
Car je n’ai ni bœufs, ni moutons, 8
De veaux que les vœux de mon âme, 8
Et ceux-là, nous les omettons. 8
Penserez-vous que je lésine, 8
50 Si je reste, j’en suis penaud, 8
Le maquereau de Valentine… 8
Quelle Valentine ?… Renault. 8
Quoi ! je serais de la famille ! 8
Bon ! me voilà joli garçon ! 8
55 Ça ne vient pas à ta cheville… 8
Et c’est un bien petit poisson. 8
Que ce maquereau qu’on te donne… 8
Mieux vaudrait… un coq sur l’ergot… 8
Tiens, mettons Dauphin, ma Mignonne, 8
60 C’est la même chose en argot. 8
Entre Montmartre et Montparnasse, 8
L’enfant de la place Maubert, 8
Pour ces beaux messieurs de la Nasse 8
Dit : Dos, on Dos fin, ou Dos vert. 8
65 Dauphin, c’est ainsi que l’on nomme 8
Le fils d’un roi… D’ailleurs, je sais 8
Assez distinguer un nom d’homme 8
Du nom d’un port… en bon français. 8
Pourtant… Dauphin ne sonne guère, 8
70 Maquereau, lui, qu’il sonne bien ! 8
Il vous a comme un air de guerre, 8
Et fait-on la guerre avec rien ? 8
Il sonne bien, tu le confesses, 8
(Tant pis si vous vous étonnez) 8
75 Comme une claque sur vos fesses, 8
De la main de qui ? devinez. 8
De ton mari ?… Vous êtes fille. 8
De ton amant ? de ton amant ! 8
Ah ! Vous êtes bien trop gentille 8
80 Pour chérir ce nom alarmant. 8
De ton homme ? Il n’est pas si bête. 8
Devinez, voyons, devinez… 8
Eh !… de la main de ton poète 8
Plus légère… qu’un pied de nez ! 8
85 Oui, ça ne fait bondir personne ; 8
Dauphin, c’est mou, c’est ennuyeux, 8
Tandis que : Maquereau ! ça sonne ! 8
Décidément, ça sonne mieux ! 8
logo du CRISCO logo de l'université