Métrique en Ligne
NOU_2/NOU78
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
LA VISITE
Moi mouchard ?… oui, madame Phaïlle, 8
Comme on Vous nomme dans l’endroit, 8
Que Tu ravis avec ta taille, 8
Où tu prends du bout d’une paille, 8
5 Au temps chaud, ton sorbet… très froid. 8
À l’Ictinus ! près de la place 8
Et du palais de Médicis, 8
Tu t’asseyais, pâle, un peu lasse ; 8
Et ta grenadine à la glace 8
10 Souriait, rose, à mon cassis. 8
Beau café ; terrasse ; pratique 8
Chère aux chanteurs du vieux Faubourg ; 8
À proximité fantastique 8
De l’Odéon ; vue artistique 8
15 Sur les arbres du Luxembourg. 8
Je disais ? ah !… ceci, Madame, 8
Que s’il est un pauvre mouchard 8
Sur la galère noire où rame 8
L’esclave du Paris infâme, 8
20 Sans l’excuse d’être pochard, 8
C’est moi, je n’en connais pas d’autre, 8
Chefs ni roussins. C’est entendu. 8
Ah ! si ! j’en connais un… l’apôtre… 8
Ô catholiques, c’est le nôtre ; 8
25 Oui, le seul… qui se soit pendu. 8
Nul n’a ramassé son nom sale ; 8
L’amour n’a plus redit ce nom. 8
La chose était trop… colossale ! 8
Qu’un père appelle… Élagabale 8
30 Son fils… à la rigueur… mais… non. 8
Ah ! Madame ! que ça de fête ! 8
J’en connais un second : Javert. 8
Le Javert chéri du poète, 8
Qui dit la messe… avec sa tête ! 8
35 Triste prêtre du bonnet vert ! 8
Mais ça vous pose ! on vous renomme 8
Chez les gueux et chez les richards ! 8
On croit troubler le pape à Rome ! 8
Et ça fait de vous un grand homme, 8
40 Vénéré de tous les mouchards. 8
Mon Javert, dit-il, est honnête. 8
Honnête ! où vas-tu te fourrer ? 8
Ce n’est pas sublime, c’est bête : 8
Autant contempler la lunette 8
45 Où le trou du cul vient pleurer. 8
Un mouchard, mais ça vend son âme ! 8
Comment, son âme ! son ami ! 8
Ça vendrait son fils ; une femme ! 8
Pourquoi non ? C’est dans… le programme, 8
50 On n’est pas honnête à demi. 8
Ça vendrait n’importe laquelle 8
D’entre les femmes d’à présent ! 8
Quand je songe que la séquelle 8
Pourrait t’effleurer de son aile 8
55 Ne serait-ce qu’en te rasant, 8
Comme Éole, qui souffle et cause 8
Des ravages dans le faubourg 8
Où, la nuit, Montmartre repose, 8
Peut importuner une Rose 8
60 Dans le jardin du Luxembourg ; 8
Moins : comme le zéphir, qui rôde, 8
Vent, on peut dire, un peu balourd, 8
Mais bon zouave, allant en maraude, 8
Peut froisser la Fleur la plus chaude 8
65 Des plus blanches du Luxembourg ; 8
Moins : comme une anthère blessée 8
Par la brise folle qui court, 8
Sa chemisette retroussée, 8
Peut entêter une Pensée 8
70 La plus belle du Luxembourg. 8
Moins : comme la vergue cassée 8
D’un marin, retour de Cabourg, 8
Fier de sa flotte cuirassée, 8
Fait se tourner une Pensée 8
75 Vers le bassin du Luxembourg ; 8
Moins : comme une vesce élancée 8
Par une bague de velours, 8
Lui fichant sa douce fessée, 8
Distrait la plus sage Pensée 8
80 De l’un et l’autre Luxembourgs ; 8
Rien que ça ! ce serait la pire 8
Des injustices envers Toi. 8
Il est minuit, je me retire. 8
D’ailleurs, j’ai quelque chose à dire 8
85 Au Préfet de Police, moi. 8
Toi, toutes les femmes sont bonnes, 8
Tu m’entends ; seules, ou par deux ; 8
N’appartenant qu’à leurs personnes ; 8
Quant à tes mouchards… ces colonnes ? 8
90 Dis plutôt… ces bâtons merdeux, 8
Tu vas tous les foutre à la porte ; 8
Mais, en assurant leurs vieux jours ; 8
Jusqu’à l’heure où le char emporte, 8
La dernière… retraite… morte, 8
95 Et laisse faire les amours. 8
Ce sont tes pieds ? Chacun y pisse. 8
Honneur aux pieds estropiés ! 8
Mais les tiens ! tu sais où ça glisse ! 8
Donc… mon beau Préfet de Police, 8
100 Laisse-moi… te laver les pieds… 8
Assieds-toi ; jette au feu ta honte, 8
Au vent tous tes affreux papiers ! 8
Fais remplir un bassin en fonte ; 8
Comme les pieds des douze, compte… 8
105 Laisse-moi… te laver les pieds… 8
Tes pieds aussi noirs que la suie, 8
Comme moi-même je les eus, 8
Baignant dans les eaux de sa pluie, 8
Et souffre que je les essuie 8
110 Avec le linge de JÉSUS. 8
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