Métrique en Ligne
NOU_2/NOU75
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
JUIF
Quelqu’un qui jamais ne se trompe, 8
M’appelle juif… Moi, juif ? Pourquoi ? 8
Je suis chrétien, sans que je rompe 8
Le pain bénit à son de trompe, 8
5 Bien qu’en mon trou… je reste coi. 8
Je sais juif, ah ! c’est bien possible ! 8
Je n’ai le nez spirituel 8
Ni l’air résigné d’une cible ; 8
Je ne montre un cœur insensible. 8
10 Tout juif est-il en Israël ? 8
Mais si juif signifie avare 8
Économisant sur le suif, 8
Sur l’eau qui pourtant n’est pas rare 8
Sur une corde de guitare, 8
15 Je me fais honneur d’être juif. 8
Je prends pour moi seul cette injure, 8
Quoique je ne possède rien ; 8
Je me l’écris sur la figure 8
En trois mots, sans une rature ; 8
20 Voyez : je suis juif. Lisez bien. 8
Regardez-moi : ma barbe est sale 8
Comme en chaire un prédicateur 8
Qui vide une fosse nasale, 8
Et j’ai l’aspect froid d’une stalle, 8
25 Dans le temple où prêche un pasteur. 8
Moi, juif, je mens, je calomnie, 8
Comme un misérable chrétien, 8
Lorsqu’à tort il affirme ou nie, 8
Ou qu’il dispute, ô vilenie ! 8
30 En parlant du mien et du tien ; 8
J’adore un veau d’or… dans ma bague, 8
Le veau qu’on débite en bijoux ; 8
Au seul mot d’argent, je divague, 8
Comme le catholique vague 8
35 Qui ne se passe de joujoux ; 8
Moi, fils de ceux qui portaient l’Arche, 8
Je ris, et je laisse périr, 8
Je perds la foi du patriarche, 8
Comme tout un peuple qui marche 8
40 Vers l’ombre où le corps doit pourrir. 8
Moi, juif, je doute de mon âme, 8
Moi, juif, je doute de l’Amour, 8
Je ne suis sûr que de ma femme, 8
(N’est-ce pas étrange, Madame ?) 8
45 Comme bien des… maris du jour. 8
Car elle se fout de la vogue 8
Qu’a tout argument inventé 8
Par notre science un peu rogue ; 8
Elle aime mieux la synagogue 8
50 Si fraîche, dès l’aube, en été. 8
Elle est blanche, elle a sur les tempes 8
Une perruque où rit sa fleur ; 8
Faite à souhait pour les estampes ; 8
Quand elle adore sous les lampes 8
55 Dans ses voiles d’une couleur ; 8
Elle se consume en prières, 8
Conservant, sans en rien verser, 8
L’eau de ses croyances entières, 8
Car… une douzaine de pierres 8
60 Ça suffit pour recommencer. 8
Jérusalem les garde encore, 8
Salomon les reçut du Ciel 8
Qu’avec des larmes elle implore ; 8
Comme une juive que j’adore, 8
65 L’épouse de Nathaniel. 8
Ce qu’on admire fort sur elle, 8
C’est l’honneur de faire de l’art 8
Par une pente naturelle, 8
Pas pour vendre son aquarelle, 8
70 Ni pour manger un peu de lard. 8
J’ai pu contempler sa peinture, 8
Dans une salle au Luxembourg : 8
C’est très bien peint d’après nature ; 8
C’est avec l’eau, sous la toiture, 8
75 Ça me semble, un coin de faubourg. 8
Sur la cimaise elle est sous verre, 8
Je puis donc y mettre un baiser 8
Loin des yeux du gardien sévère ; 8
Bref, l’art charmant qu’elle sait faire, 8
80 C’est, comme il sied, pour s’amuser. 8
Cela ne fait l’ombre d’un doute 8
Pour tous, dans la société ; 8
Oui, ma belle Mignonne, écoute, 8
Elle pourrait épater toute 8
85 La pâle catholicité. 8
Tiens ! En veux-tu rien qu’un exemple ? 8
Que le sultan soit décavé, 8
Et trouve sa poche bien ample : 8
« Vends-les-nous, ces pierres du Temple », 8
90 Et Notre-Seigneur a rêvé ! 8
Je suis juif ! ah ! ce nom m’inonde 8
De sa plus sainte émotion ! 8
Souffre que pour eux je réponde : 8
La plus noble race du monde, 8
95 Ce sont les juifs de nation. 8
Eux, au moins, ont du caractère ; 8
Ils sont, oui, par les traits de feu 8
Du Décalogue salutaire, 8
Le plus grand peuple de la Terre ! 8
100 N’est-ce pas vrai, ça, nom de Dieu ! 8
Sotte habitude, oui, sur mon âme, 8
Bonne au plus pour les ateliers ; 8
Excusez moi, si je m’en blâme. 8
Et si vous m’entendez, Madame, 8
105 Que je me prosterne à vos pieds. 8
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