Métrique en Ligne
NOU_2/NOU73
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
GÂTÉ
Comme une femme, hélas ! vous change ! 8
Ainsi, moi… je fume toujours, 8
Je ris, je dors, je bois, et mange, 8
Mais tu m’as rendu bien étrange, 8
5 Et de tous les fils, le plus lourd. 8
Un fils qui foule au pied sa mère, 8
Ce que le dernier des troupiers 8
Au pas accéléré peut faire, 8
Qui s’oublie, ô folie amère, 8
10 Jusqu’à l’écraser sous ses pieds ! 8
Eh ! oui, je foule aux pieds la Terre 8
Qu’à deux genoux a su baiser 8
Un Romain plein d’amour sévère, 8
Brutus, que j’appelle mon frère, 8
15 J’ai pu quelquefois l’écraser. 8
Écraser qui ? la Terre où l’homme ? 8
Les deux, n’en soyons pas surpris : 8
Le Temps est le grand agronome ; 8
Il peut aux poussières de Rome 8
20 Mêler les cendres de Paris. 8
Oui, la Terre en travail et soûle, 8
Notre Mère à tous, n’est-ce pas ? 8
Mère des fous et de la foule, 8
Et dont on mange, je la foule 8
25 Amoureusement sous mes pas. 8
Car cette Mère elle ne gronde 8
Jamais ses fils, et nous avons 8
Son sang qui circule à la ronde, 8
Le vin rose et la bière blonde 8
30 Dans les verres où nous buvons. 8
Quant à la vraie ou bien la fausse, 8
Nous dirons comme nous voudrons, 8
Elle est morte, elle est dans sa fosse, 8
Je n’en pleure ni ne m’en gausse 8
35 Dans la fosse où nous pourrirons. 8
C’était une enfant de Pourrières, 8
Village battu des grands vents, 8
Où toutes peuvent passer, fières, 8
De leurs magnifiques derrières 8
40 Aussi crânes que leurs devants. 8
Elle m’adorait pas des flottes ! 8
C’est loin comme les fonds usés, 8
Les premiers fonds de mes culottes. 8
Elle m’a foutu deux… calottes 8
45 Elle qui comptait les baisers. 8
Et pourquoi ? Tenez, je m’essuie 8
Encore, en vous le racontant 8
(Je cesserai si ça t’ennuie), 8
C’est parce qu’un beau jour de pluie 8
50 J’étais revenu « tout coulant ». 8
Encor si c’était la férule ! 8
Mais la main sur la joue, ah ! non ! 8
Bon pour un homme, s’il recule. 8
L’autre au moins, c’est chaud, ça vous brûle 8
55 Pas bien loin du… petit couillon. 8
Elle s’appelait Augustine 8
Silvy, beau nom, grand et gaillard, 8
D’une source, on dirait, latine ; 8
Elle est morte de la poitrine 8
60 Malgré tous les secours de l’art. 8
Elle était charmante et divine, 8
Comme l’aveugle et le vieillard. 8
Je sais que sa jambe était fine, 8
Je trouve un jour ses bas, ma fine, 8
65 Je les mis… pour l’amour de l’art. 8
Elle me lisait quoi ? devine 8
Les vers du Petit Savoyard ! 8
Autant mourir de la poitrine. 8
C’est dans ces vers que se dessine 8
70 Ma mère (oh ! c’est rempli d’art) 8
Qui dit, nom de Dieu de mâtine ! 8
Va-t’en à son enfant qui part ! 8
Autant mourir de la poitrine ! 8
Ce qu’elle fit. J’usai sa mine 8
75 De bas noirs, pour l’amour de l’art. 8
Elle n’avait, ma Valentine, 8
Pas le quart de ton cœur… le quart ! 8
Le cinquième, dans sa poitrine ! 8
Si je mis ses bas, imagine 8
80 Que ce fut pour l’amour de l’art. 8
Tiens ! qu’entends-je ? mais, là, sans rire… 8
« Excusez-vous » ce n’est pas Toi, 8
N’est-il pas vrai, qui l’a pu dire ? 8
Serait-ce… son ton… plein d’empire ? 8
85 Eh ! bien : Madame… excusez-moi. 8
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