Métrique en Ligne
NOU_2/NOU72
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
GRIS
Les anciens donnaient aux déesses
des yeux pers.
Classiques.
Je connais un charmant ivrogne, 8
Autant vous le nommer, ma foi ! 8
Dire que vous avez la trogne, 8
Ce serait mentir sans vergogne. 8
5 Pourtant, un soir, écoutez-moi ! 8
Vous aviez bu trop de champagne, 8
Ça se lisait dans vos yeux pers. 8
Vous battiez un peu la campagne, 8
Sans feuille de figuier ni pagne 8
10 À votre esprit, vraiment, sans pairs. 8
Et vous me dérouliez le thème 8
De tous les jolis mouvements 8
Que votre corps sait bien que j’aime. 8
J’étais, d’ailleurs, ivre moi-même, 8
15 Au Bon-Bock, tu vois si je mens. 8
La brasserie était houleuse, 8
On aurait dit, sur l’Hellespont, 8
D’une cabine nuageuse, 8
Quand l’eau, changée en Maufrigneuse, 8
20 Choque les gens dans l’entrepont. 8
Vous aviez l’air gai d’une chatte 8
Qui joue et sent son ongle armé, 8
Forte, ambigüe, et délicate, 8
Comme une rime sous la patte 8
25 Magistrale de Mallarmé ! 8
Je flottais comme la moustache 8
De Paul Verlaine au plectre d’or, 8
Je voyais couleur de pistache ; 8
Camille agitait sa cravache, 8
30 Sur je ne sais plus quel butor ; 8
Si bien qu’au milieu des querelles 8
Je vous retrouvai sur un banc, 8
Dans l’attitude de ces Belles 8
Que Forain, dans ses aquarelles, 8
35 Habille d’un bout de ruban. 8
Tu t’endormais sur mon épaule. 8
Alors, je fis signe au cocher. 8
Ces choses-là, c’est toujours drôle ! 8
J’entrais d’autant mieux dans ce rôle 8
40 Que j’aurais eu peine à marcher ; 8
Quand on nous déposa sur terre, 8
Vous fîtes un léger faux pas, 8
Le seul qu’on vous vit jamais faire ; 8
Encor, même à l’œil trop sévère, 8
45 Peut-être ne l’était-il pas ? 8
Car, dans l’ombre où s’éteint le rêve 8
De mes désirs réalisés, 8
Ton ivresse que l’Art relève 8
Ouvrait, ô noble Fille d’Ève, 8
50 La volière à tous les baisers ! 8
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