Métrique en Ligne
NOU_2/NOU55
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
LE PORTRAIT
Depuis longtemps, je voudrais faire 8
Son portrait, en pied, suis-moi bien : 8
Quand elle prend son air sévère, 8
Elle ne bouge et ne dit rien. 8
5 Ne croyez pas qu’Elle ne rie 8
Assez souvent ; alors, je vois 8
Luire un peu de sorcellerie 8
Dans les arcanes de sa voix. 8
Impérieuse, à n’y pas croire ! 8
10 Pour le moment, pour son portrait, 8
(Encadré d’or pur, sur ivoire) 8
Plus sérieuse… qu’un décret. 8
Suivez-moi bien : son Âme est belle 8
Autant que son visage est beau, 8
15 Un peu plus… si je me rappelle 8
Que Psyché se rit du Tombeau. 8
Tout le Ciel est dans ses prunelles 8
Dont l’éclat… efface le jour, 8
Et qu’emplissent les éternelles 8
20 Magnificences de l’Amour ; 8
Et ses paupières sont ouvertes 8
Sur le vague de leur azur, 8
Toutes grandes et bien mieux, certes, 8
Que le firmament le plus pur. 8
25 L’arc brun de ses grands sourcils, digne 8
De la flèche d’amours rieurs, 8
Est presque un demi-cercle, signe 8
De sentiments supérieurs. 8
Sans ride morose ou vulgaire, 8
30 Son front, couronné… de mes vœux, 8
En fait de nuages n’a guère 8
Que l’ombre douce des cheveux. 8
Quand elle a dénoué sa tresse 8
Où flottent de légers parfums, 8
35 Sa chevelure la caresse 8
Par cascades de baisers bruns, 8
Qui se terminent en fumée 8
À l’autre bout de la maison, 8
Et quand sa natte est refermée 8
40 C’est la plus étroite prison, 8
Le nez aquilin est la marque 8
D’une âme prompte à la fureur, 8
Le sien serait donc d’un monarque 8
Ou d’une fille d’empereur ; 8
45 Ses deux narines frémissantes 8
Disent tout un trésor voilé 8
De délicatesses puissantes 8
Au fond duquel nul est allé. 8
Ses lèvres ont toutes les grâces 8
50 Comme ses yeux ont tout l’Amour, 8
Elles sont roses, point trop grasses, 8
Et d’un spirituel contour. 8
Ho, çà ! Monsieur, prenez bien garde 8
À tous les mots que vous jetez, 8
55 Son oreille fine les garde 8
Longtemps, comme des vérités. 8
L’ensemble vit, pense, palpite ; 8
L’ovale est fait de doux raccords ; 8
Et la tête est plutôt petite, 8
60 Proportionnée à son corps. 8
Esquissons sous sa nuque brune 8
Son cou qui semble… oh ! yes, indeed ! 8
La Tour d’ivoire, sous la lune 8
Qui baigne la Tour de David ; 8
65 Laquelle, loin que je badine, 8
Existe encor, nous la voyons 8
Sur l’album de la Palestine, 8
Chez les gros marchands de crayons. 8
Je voudrais faire… les épaules. 8
70 Ici, madame, permettez 8
Que j’écarte l’ombre des saules 8
Que sur ces belles vous jetez… 8
Non ? vous aimez mieux cette robe 8
Teinte de la pourpre que Tyr 8
75 À ses coquillages dérobe 8
Dont son art vient de vous vêtir ; 8
Vous préférez à la nature 8
D’avant la pomme ou le péché, 8
Cette lâche et noble ceinture 8
80 Où votre pouce s’est caché. 8
Mais votre peintre aime l’éloge, 8
Et… l’on est le premier venu 8
Fort indigne d’entrer en loge, 8
Si l’on ne sait rendre le nu ; 8
85 S’il ne peut fondre avec noblesse 8
Cette indifférence d’acier 8
Où sa réflexion vous laisse, 8
Comment fera-t-il votre pied ? 8
Vos mains mignonnes, encor passe ; 8
90 Mais votre pied d’enfant de rois 8
Dont la cambrure se prélasse 8
Ainsi qu’un pont sur les cinq doigts, 8
Qu’on ne peut toucher sans qu’il parte 8
Avec un vif frémissement 8
95 Des doigts dont le pouce s’écarte, 8
Comme pour un… commandement… 8
Vous persistez, c’est votre affaire, 8
Faites, faites, ça m’est égal ! 8
Je barbouille tout, de colère… 8
100 Et tant pis pour mon madrigal ! 8
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