Métrique en Ligne
NOU_2/NOU54
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
LA MAXIME
La Rochefoucauld dit, Madame, 8
Qu’on ne doit pas parler de soi, 8
Ni ?… ni ?… de ?… de ?… sa ?… sa ?… sa femme. 8
Alors, ma conduite est infâme, 8
5 Voyez, je ne fais que ça, moi. 8
Je me moque de sa maxime. 8
Comme un fœtus dans un bocal, 8
J’enferme mon « moi » dans ma rime, 8
Ce bon « moi » dont me fait un crime 8
10 Le sévère Blaise Pascal. 8
Or, ce ne serait rien encore, 8
On excuse un… maudit travers ; 8
Mais j’enferme Toi que j’adore 8
Sur l’autel que mon souffle dore 8
15 Au Temple bâti par mes vers ; 8
Sous les plafonds de mon Poëme, 8
Sur mes tapis égyptiens, 8
Dans des flots d’encens, moi qui T’aime, 8
Je me couche auprès de Toi-même 8
20 Comme auprès du Sphinx des Anciens ; 8
Tel qu’un Faust prenant pour fétiche 8
L’un des coins brodés de tes bas, 8
Je Te suis dans chaque hémistiche 8
Où Tu bondis comme une biche, 8
25 La Biche-Femme des Sabbats ; 8
Comme pour la Sibylle à Cumes, 8
Mon quatrain Te sert de trépied, 8
Où, dans un vacarme d’enclumes, 8
Je m’abattrai, couvert d’écumes, 8
30 Pour baiser le bout de ton pied ; 8
À chaque endroit de la césure, 8
D’un bout de rythme à l’autre bout, 8
Tu règnes avec grâce et sûre 8
De remplir toute la mesure, 8
35 Assise, couchée, ou debout. 8
Eh, bien ! j’ai tort, je le confesse : 8
On doit, jaloux de sa maison, 8
N’en parler pas plus qu’à la messe ; 8
Maxime pleine de sagesse ! 8
40 J’ai tort, sans doute… et j’ai raison. 8
Si ma raison est peu touchante, 8
C’est que mon tort n’est qu’apparent : 8
Je ne parle pas, moi, je chante ; 8
Comme aux jours d’Orphée ou du Dante, 8
45 Je chante, c’est bien différent. 8
Je ne parle pas, moi, Madame. 8
Vous voyez que je n’ai pas tort, 8
Je ne parle pas de ma femme, 8
Je la chante et je clame, clame, 8
50 Je clame haut, sans crier fort. 8
Je clame et vous chante à voix haute. 8
Qu’il plaise aux cœurs de m’épier, 8
Lequel pourra me prendre en faute ? 8
Je ne compte pas sans mon hôte, 8
55 J’écris « ne vends » sur ce papier. 8
J’écris à peine, je crayonne. 8
Je le répète encor plus haut, 8
Je chante et votre Âme rayonne. 8
Comme les lyres, je résonne, 8
60 Oui… d’après La Rochefoucauld. 8
Ah ! Monsieur !… le duc que vous êtes, 8
Dont la France peut se vanter, 8
Fait très bien tout ce que vous faites ; 8
Il dit aux femmes des poëtes : 8
65 « Libre aux vôtres de vous chanter ! 8
Dès qu’il ne s’agit plus de prose, 8
Qu’il ne s’agit plus des humains, 8
Au Mont où croît le Laurier-Rose, 8
Qu’on chante l’une ou l’autre chose, 8
70 Pour moi, je m’en lave les mains. » 8
Donc, sans épater les usages, 8
Je ferai, Madame, sur Vous 8
Dix volumes de six cents pages, 8
Que je destine… pas aux sages, 8
75 Tous moins amoureux que les fous. 8
Pour terminer, une remarque, 8
(Si j’ose descendre à ce ton, 8
Madame), après, je me rembarque, 8
Et je vais relire Plutarque 8
80 Dans le quartier du Panthéon : 8
Sans la poésie et sa flamme, 8
(Que Vous avez, bien entendu) 8
Aucun mortel, je le proclame, 8
N’aurait jamais connu votre âme, 8
85 Rose du Paradis Perdu ; 8
Oui, personne, dans les Deux-Mondes, 8
N’aurait jamais rien su de Toi. 8
Sans ces… marionnettes rondes, 8
Les Vers bruns et les Rimes blondes, 8
90 Mais, oui, Madame, excepté moi. 8
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