Métrique en Ligne
NOU_2/NOU104
Germain NOUVEAU
Valentines
et Autres Vers
1922
DERNIER MADRIGAL
Quand je mourrai, ce soir peut-être, 8
Je n’ai pas de jour préféré, 8
Si je voulais, je suis le maître, 8
Mais… ce serait mal me connaître, 8
5 N’importe, enfin, quand je mourrai. 8
Mes chers amis, qu’on me promette 8
De laisser le bois… au lapin, 8
Et, s’il vous plaît, qu’on ne me mette 8
Pas, comme une simple allumette, 8
10 Dans une boîte de sapin ; 8
Ni, comme un hareng, dans sa tonne ; 8
Ne me couchez pas tout du long, 8
Pour le coup de fusil qui tonne, 8
Dans la bière qu’on capitonne 8
15 Sous sa couverture de plomb. 8
Car, je ne veux rien, je vous jure ; 8
Pas de cercueil ; quant au tombeau, 8
J’y ferais mauvaise figure, 8
Je suis peu fait pour la sculpture, 8
20 Je le refuse, fût-il beau. 8
Mon vœu jusque-là ne se hausse ; 8
Ça me laisserait des remords, 8
Je vous dis (ma voix n’est pas fausse) : 8
Je ne veux pas même la fosse, 8
25 Où sont les lions et les morts. 8
Je ne suis ni puissant ni riche, 8
Je ne suis rien, que le toutou, 8
Que le toutou de ma Niniche ; 8
Je ne suis que le vieux caniche 8
30 De tous les gens de n’importe où. 8
Je ne veux pas que l’on m’enferre 8
Ni qu’on m’enmarbre, non, je veux 8
Tout simplement que l’on m’enterre, 8
En faisant un trou… dans ma Mère, 8
35 C’est le plus ardent de mes vœux. 8
Moi, l’enterrement qui m’enlève, 8
C’est un enterrement d’un sou, 8
Je trouve ça chic ! Oui, mon rêve, 8
C’est de pourrir, comme une fève ; 8
40 Et maintenant, je vais dire où. 8
Eh ! pardieu ! c’est au cimetière 8
Près d’un ruisseau (prononcez l’Ar), 8
Du beau village de Pourrière 8
De qui j’implore une prière, 8
45 Oui, c’est bien à Pourrières, Var. 8
Croisez-moi les mains sous la tête, 8
Qu’on laisse mon œil gauche ouvert ; 8
Alors ma paix sera complète, 8
Vraiment je me fais une fête 8
50 D’être enfoui comme un pois vert. 8
Creusez-moi mon trou dans la terre, 8
Sous la bière, au fond du caveau, 8
Où tout à côté de son père, 8
Dort déjà ma petite mère, 8
55 Madame Augustine Nouveau. 8
Puis… comblez-moi de terre… fine, 8
Sur moi, replacez le cercueil ; 8
Que comme avant dorme Augustine ! 8
Nous dormirons bien, j’imagine, 8
60 Fût-ce en ne dormant… que d’un œil. 8
Et… retournez-la sur le ventre, 8
Car, il ne faut oublier rien, 8
Pour qu’en son regard le mien entre, 8
Nous serons deux tigres dans l’antre 8
65 Mais deux tigres qui s’aiment bien. 8
Je serai donc avec les Femmes 8
Qui m’ont fait et qui m’ont reçu, 8
Bonnes et respectables Dames, 8
Dont l’une sans cœur et sans flammes 8
70 Pour le fruit qu’elles ont conçu. 8
Ah ! comme je vais bien m’étendre, 8
Avec ma mère sur mon nez. 8
Comme je vais pouvoir lui rendre 8
Les baisers qu’en mon âge tendre 8
75 Elle ne m’a jamais donnés. 8
Paix au caveau ! Murez la porte ! 8
Je ressuscite, au dernier jour. 8
Entre mes bras je prends la Morte, 8
Je m’élève d’une aile forte, 8
80 Nous montons au ciel dans l’Amour. 8
Un point… important… qui m’importe, 8
Pour vous ça doit vous être égal, 8
Je ne veux pas que l’on m’emporte 8
Dans des habits d’aucune sorte, 8
85 Fût-ce un habit de carnaval. 8
Pas de suaire en toile bise… 8
Tiens ! c’est presque un vers de Gautier ; 8
Pas de linceul, pas de chemise ; 8
Puisqu’il faut que je vous le dise, 8
90 Nu, tout nu, mais nu tout entier. 8
Comme sans fourreau la rapière, 8
Comme sans gant du tout la main, 8
Nu comme un ver sous ma paupière, 8
Et qu’on ne grave sur leur pierre, 8
95 Qu’un nom, un mot, un seul, GERMAIN. 8
Fou de corps, fou d’esprit, fou d’âme, 8
De cœur, si l’on veut de cerveau, 8
J’ai fait mon testament, Madame ; 8
Qu’il reste entre vos mains de femme, 8
100 Dûment signé : GERMAIN NOUVEAU. 8
logo du CRISCO logo de l'université