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NOU_1/NOU2
Germain NOUVEAU
Poésies d'Humilis
et Vers Inédits
1872-1881
POÉSIES D'HUMILIS
Cantique à la Reine
I
Douce Vierge Marie, humble mère de Dieu 12
Que tout le ciel contemple, 6
Vous qui fûtes un lys debout dans l'encens bleu 12
Sur les marches du temple ; 6
5 Épouse agenouillée à qui l'ange parla ; 12
Ô divine accouchée, 6
Que virent les bergers, qu'une voix appela, 12
Sur la roche penchée ; 6
Qui regardiez dormir, l'abreuvant d'un doux lait, 12
10 L'adorant la première, 6
Un enfant frêle et nu, mais qui, la nuit, semblait 12
Être fait de lumière ; 6
Ô morte, qu'enleva dans les plis des rideaux 12
À la nuit de la tombe 6
15 L'essaim des chérubins, qui portent à leur dos 12
Des ailes de colombe, 6
Pour vous placer, au bruit de leurs psaltérions 12
Dont tressaillent les cordes, 6
Au Ciel où vous régnez, les doigts pleins de rayons 12
20 Et de miséricordes ; 6
Vous qu'un peuple sur qui votre bleu manteau pend 12
Doucement importune, 6
Vous qui foulez avec la tête du serpent 12
Le croissant de la lune ; 6
25 Vous à qui Dieu donna les grands voiles d'azur, 12
Le cortège des Vierges, 6
La cathédrale immense au maître-autel obscur 12
Étoilé par les cierges, 6
La couronne, le sceptre et les souliers bouffants, 12
30 Les cantiques en flammes, 6
Les baisers envoyés par la main des enfants, 12
Et les larmes des femmes ; 6
Vous dont l'image, aux jours gros d'orage et d'erreur, 12
Luisait sous mes paupières, 6
35 Et qui m'avez tendu sur les flots en fureur 12
L'échelle des prières ; 6
Vous qui m'avez cherché, portant votre fanal, 12
Aux pentes du Parnasse ; 6
Vous qui m'avez pêché dans les filets du mal 12
40 Et mis dans votre nasse ; 6
Que n'ai-je, pour le jour où votre fête aura 12
Mis les cloches en joie, 6
La règle du marchand qui pour vous aunera 12
Le velours et la soie ! 6
45 Que n'ai-je les ciseaux sonores du tailleur, 12
Pour couper votre robe ! 6
Et que n'ai-je le four qu'allume l'émailleur ! 12
J'émaillerais le globe 6
Où votre pied se pose, ainsi qu'un oiseau blanc 12
50 Planant sur nos désastres, 6
Globe d'azur et d'or, frêle univers roulant 12
Son soleil et ses astres ! 6
Que ne suis-je de ceux dont les rois font grand cas, 12
Et qui sont des orfèvres ! 6
55 Je vous cisèlerais des bijoux délicats, 12
Moins vermeils que nos lèvres ; 6
Mais, puisque je ne suis ni l'émailleur plaisant, 12
Ni le marchand notable, 6
Ni l'orfèvre fameux, ni le tailleur croisant 12
60 Les jambes sur sa table ; 6
Que je n'ai nul vaisseau sur les grands océans, 12
Nul trésor dans mon coffre, 6
J'ai rimé ce bouquet de vertus que céans 12
De bon cœur je vous offre. 6
65 Je vous offre humblement ce bouquet que voici : 12
La couleur en est franche 6
Et le parfum sincère, et ce bouquet choisi 12
C'est la chasteté blanche ; 6
C'est l'humilité bleue et douce, et c'est encor 12
70 Fleur du cœur, non du bouge, 6
La pauvreté si riche et toute jaune d'or 12
Et la charité rouge. 6
Ce n'est pas que je croie habiter les sommets 12
De la science avare, 6
75 Et je n'ai pas le fruit de la sagesse, mais 12
L'amour de ce fruit rare ; 6
Au surplus, je n'ai pas l'améthyste à mon doigt, 12
Je ne suis pas du temple, 6
Et je sais qu'un chrétien pur et simple ne doit 12
80 A tous que son exemple. 6
Je ne suis pas un prêtre arrachant au plaisir 12
Un peuple qu'il relève ; 6
Je ne suis qu'un rêveur et je n'ai qu'un désir : 12
Dire ce que je rêve. 6
II
85 Aimez : l'amour vous met au cœur un peu de jour ; 12
Aimez, l'amour allège ; 6
Aimez, car le bonheur est pétri dans l'amour 12
Comme un lys dans la neige ! 6
L'amour n'est pas la fleur facile qu'au printemps 12
90 L'on cueille sous son aile, 6
Ce n'est pas un baiser sur tes lèvres du temps : 12
C'est la fleur éternelle. 6
Nous faisons pour aimer d'inutiles efforts, 12
Pauvres cœurs que nous sommes ! 6
95 Et nous cherchons l'amour dans l'étreinte des corps, 12
Et l'amour fuit les hommes ! 6
Et c'est pourquoi l'on voit la haine dans nos yeux 12
Et dans notre mémoire, 6
Et ce vautour ouvrir sur nos front soucieux 12
100 Son affreuse aile noire ; 6
Et c'est pourquoi l'on voit jaillir de leur étui 12
Tant de poignards avides ; 6
Et c'est pourquoi l'on voit que les cœurs d'aujourd'hui 12
Sont des sépulcres vides. 6
105 Voici l'éternel cri que je sème au vent noir, 12
Sur la foule futile ; 6
Tel est le grain d'encens qui fume en l'encensoir 12
De ma vie inutile. 6
III
Cependant bien que j'eusse encor peu combattu 12
110 Pour sa sainte querelle, 6
Mes yeux, l'ayant fixée, ont vu que la vertu 12
Est étrangement belle ; 6
Que son corps s'enveloppe en de puissants contours, 12
Et que sa joue est pleine ; 6
115 Qu'elle est comme une ville, assise avec ses tours, 12
Au milieu de la plaine ; 6
Que ses yeux sont sereins, ignorant l'éclair vil, 12
Ainsi que les pleurs lâches ; 6
Que son sourire est gai comme une aube en avril, 12
120 Que, pour de nobles tâches, 6
Les muscles de ses bras entrent en mouvement, 12
Comme un arc qui s'anime, 6
Pendant que son cou porte impérialement 12
Sa tête magnanime ; 6
125 Qu'un astre sur son front luit plus haut que le sort, 12
Et que sa lèvre est grasse, 6
Et qu'elle est dans le calme, enveloppant l'effort, 12
L'autre nom de la grâce ; 6
Qu'elle est comme le chêne en qui la sève bout 12
130 Jusqu'à rompre l'écorce ; 6
Et qu'elle est, dans l'orage, indomptable et debout, 12
L'autre nom de la force ; 6
Que sa mamelle est vaste et pleine d'un bon lait, 12
Et que le mal recule 6
135 Comme une feuille au vent de son geste, et qu'elle est 12
La compagne d'Hercule. 6
Et je vous dis : O vous qui comme elle régnez, 12
O vierge catholique ! 6
Les saints joyeux sont morts, nos temps sont condamnés ! 12
140 Au mal mélancolique ; 6
La joie et la vertu se sont voilé le front, 12
Ces sœurs sont exilées ; 6
Et je ne vois pas ceux qui les rappelleront 12
Avec des voix ailées ! 6
145 O Vierge ! Hâtez-vous ! Déjà l'ange s'enfuit 12
Sous le ciel noir qui gronde, 6
Et le monde déjà s'enfonce dans la nuit, 12
Comme un noyé dans l'onde ! 6
Tout ce qui fleurissait et parfumait l'été 12
150 De la vie et de l'âme, 6
L'amour loyal de l'homme et la fidélité 12
Pieuse de la femme, 6
Ces choses ne sont plus, l'haleine des autans 12
A balayé ces roses, 6
155 Et l'homme a changé l'homme, et les gens de nos temps 12
Sont repus et moroses ; 6
Oui, c'est la nuit qui vient, la nuit qui filtre au fond 12
De l'âme qui décline, 6
Et grelotte déjà dans cet hiver profond, 12
160 Comme une ombre orpheline. 6
Aussi je crie ; O Vous, n'aurez-vous pas pitié 12
De notre temps qui souffre, 6
Naufragé qui s'aveugle et qui chante, à moitié 12
Dévoré par le gouffre ? 6
165 O vite, envoyez-nous, le cœur plein de pardons 12
Et les yeux pleins de flammes, 6
Celui qui doit venir, puisque nous l'attendons : 12
Lui seul prendra les âmes ; 6
Sa main se lèvera seulement sur les fronts 12
170 Noirs de gloire usurpée, 6
Et les divins conseils de Dieu lui donneront 12
La parole et l'épée ; 6
Il sera le pasteur, il sera le nocher ; 12
Il fera pour l'Église 6
175 Jaillir le sentiment, comme l'eau du rocher 12
Sous la main de Moïse. 6
Car rien ne sert d'avoir, pour fonder sur le cœur 12
Incertain de la foule, 6
Un monument qui monte et qui sorte vainqueur 12
180 Du siècle qui s'écroule, 6
Une lyre géante, et des lauriers autour 12
D'un front lourd de conquêtes, 6
Et les rimes du vers, dramatique tambour 12
Que frappent deux baguettes ; 6
185 De mouvoir une lèvre allumée au soleil, 12
D'éloquente frottée, 6
D'où s'échappe un torrent de paroles, pareil 12
À la lave irritée, 6
Ni même de tenir à son poing souverain 12
190 Le glaive à lame amère 6
Qu'Achille ramassa sur l'enclume d'airain 12
Du forgeron Homère, 6
Qu'Alexandre saisit, qui le passe aux Césars 12
Dont la gloire est jalouse, 6
195 Et que Napoléon cueille dans les hasards, 12
Aux pieds de Charles douze ; 6
Tandis qu'il suffira, sous le regard de feu 12
De l'amour qui féconde, 6
D'un seul Juste, sur qui souffle l'esprit de Dieu, 12
200 Pour transformer le monde. 6
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