Métrique en Ligne
NOR_1/NOR3
corpus Pamela Puntel
Jacques NORMAND
TABLETTES D’UN MOBILE
1870-1871
1871
L’EXILÉE
POURQUOI pleures-tu, pauvre femme, 8
Assise au bord de ce chemin ? 8
Ton visage, où se lit ton âme, 8
Porte l’empreinte du chagrin ; 8
5 Tes beaux yeux ont perdu leur flamme, 8
Et des pleurs roulent sur ta main. 8
Est-ce l’amour qui t’a blessée ? 8
As-tu ressenti la douleur 8
De te voir soudain repoussée 8
10 Par un geste froid et moqueur ? 8
T’a-t-il lâchement repoussée 8
Celui-là qui te prit ton cœur ? 8
Est-ce ton enfant que tu pleures ? 8
Est-ce ton frère, ton ami ? 8
15 Seule, loin de toutes demeures, 8
Grelottante et morte à demi, 8
Pourquoi marcher de longues heures 8
Sans jamais chercher un abri ? 8
De quel pays es-tu venue ? 8
20 Quel chagrin a pu t’alarmer ? 8
Va, dis-le moi : rien qu’à ta vue 8
Mon être s’est laissé charmer, 8
Et, sans t’avoir jamais connue, 8
Il me semble déjà t’aimer. 8
25 Viens : jusqu’à la ferme prochaine 8
Accepte mon bras pour soutien ; 8
Raconte-moi toute ta peine ; 8
Tu trouveras, sans craindre rien, 8
Une main pour serrer la tienne, 8
30 Un cœur pour soulager le tien. 8
— Ami, si longue est la distance 8
Qu’il me faut encor parcourir 8
Que j’ai perdu toute espérance 8
D’y pouvoir jamais réussir : 8
35 Ami, si grande est ma souffrance 8
Que rien ne saurait la guérir. 8
Tu me demandes qui je pleure ? 8
Hélas ! qui pourrait les compter 8
Tous ceux-là que la mort effleure, 8
40 Ou que la mort vient d’emporter, 8
Foule nombreuse que chaque heure, 8
Chaque moment, peut augmenter ! 8
Je fuis devant mon ennemie, 8
La Guerre au bras ensanglanté : 8
45 Je n’ai ni foyer ni patrie ; 8
Mon nom est partout rejeté 8
Comme celui d’une bannie : 8
On m’appelle l’Humanité. 8
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